La France a-t-elle vraiment besoin des Emirats arabes unis contre le narcotrafic ?
Emmanuel Macron a visité les Emirats arabes unis dimanche et lundi pour discuter de l’appui du pays contre le trafic de drogue. Depuis janvier, le nombre d’extraditions vers la France s’élève à 17, selon l’entourage du ministre de la Justice.
C’était l’un des enjeux majeurs lors de la visite d’Emmanuel Macron aux Émirats arabes unis ce dimanche et lundi : obtenir le soutien de ce pays du Golfe dans la lutte de la France contre le trafic de drogue. Pour discuter de cette question, le président était entouré d’une délégation comprenant notamment le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, Vanessa Perrée, future procureure nationale contre le crime organisé, et Nicolas Bessone, procureur de Marseille.
En novembre, quelques jours après le décès de Mehdi Kessaci à Marseille, frère d’Amine Kessaci, le garde des Sceaux s’était déjà rendu sur place pour évoquer le narcotrafic, devenu une urgence nationale. « Notre engagement réciproque a porté ses fruits : depuis le début de l’année, 14 grands narcotrafiquants ont été interpellés puis extradés vers la France pour y être incarcérés », avait-il déclaré sur son compte X. « Alors qu’aucune extradition de narcocriminel n’avait eu lieu depuis 2020 », ajoutait-il.
Paris a également établi une liste de « plusieurs dizaines de millions d’euros de patrimoine » sur le sol émirien appartenant à des criminels. Fin novembre, Gérald Darmanin a annoncé la saisie de 82 appartements liés à des affaires de trafic marseillais.
### Un refuge pour narcotraficants
La lutte contre le trafic de drogue semble se concentrer désormais sur le pays du Golfe, car celui-ci a longtemps servi de refuge à des narcotrafiquants. « Nous constatons que plusieurs des individus que nous recherchons, soit dans le cadre d’une enquête judiciaire, soit parce qu’ils ont été jugés et condamnés, résident aux Émirats arabes unis, en particulier à Dubaï », a confirmé Eric Serfass, procureur adjoint à la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) sur France Culture.
Il existe néanmoins un lien de coopération judiciaire entre Paris et Abou Dabi qui n’est pas récent. « La première signature d’une convention d’entraide judiciaire date du 9 septembre 1991 », rappelle Yann Bisiou, maître de conférences à l’université de Montpellier Paul-Valéry et spécialiste du droit des stupéfiants et de la lutte contre les drogues, évoquant « une tradition de coopération judiciaire et policière ». En 2007, une convention d’extradition a été ajoutée à cet arrangement.
### Des règles souples
Cependant, pour Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques et expert du Moyen-Orient, la raison pour laquelle l’attention se porte sur les Émirats vient du fait que le pays ne « jouait pas le jeu jusqu’à maintenant ». « Les Émirats arabes unis figurent régulièrement sur la liste noire européenne des paradis fiscaux et accueillent ceux dont l’argent les intéresse », affirme-t-il. L’État fédéral, qui regroupe sept émirats dont Dubaï, attire tout un « écosystème » : des influenceurs peu scrupuleux vis-à-vis de la législation, des personnalités sous le coup de sanctions internationales, ainsi que d’anciens dictateurs, selon le spécialiste. « Les Émirats attirent ces individus, venant de divers pays, en raison de l’absence de législation restrictive ou stricte sur l’origine des fonds. »
Dubaï « propose ainsi aux investisseurs potentiels des taux d’imposition pratiquement nuls, ainsi qu’un secret bancaire absolu et une certaine indifférence quant à l’origine des fonds placés dans l’émirat », souligne le rapport sur « l’impact du narcotrafic » des sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc, publié en 2024.
### « Effet de mode »
Cependant, la situation semble évoluer depuis quelques mois. Depuis janvier, lorsque les autorités émiriennes ont reçu une liste de 27 « cibles prioritaires », le nombre d’extraditions vers la France s’élève à 17, selon l’entourage du ministre de la Justice. Parmi les extradés figurent Abdelkader Bouguettaia, dit « Bibi », extradé de Dubaï vers la France en juin, et Mehdi Charafa, impliqué dans des affaires de trafic de drogue et de blanchiment, extradé en février.
Est-ce la fin de l’impunité au soleil du Golfe ? « Ceux qui sont vraiment concernés ont déjà déménagé, ils ont transféré leurs fonds », déplore Yann Bisiou. Il souligne qu’il s’agit d’une course souvent vouée à l’échec : si l’on empêche ces individus d’être à Dubaï, ils se tourneront vers la Malaisie, le Cambodge ou la Colombie. Il fait aussi mention d’un phénomène de « mode » chez les trafiquants, qui favorisaient autrefois la Thaïlande.
L’extradition et la saisie des biens peuvent être « utiles », selon lui, mais « concernent une part faible du trafic et des trafiquants ». « Le criminel impliqué sera contraint d’arrêter ses activités et subira des pertes importantes. Mais d’autres rempliront le vide », analyse-t-il. « C’est un capitalisme débridé. Tant que vous ne limitez pas le marché, vous aurez des acteurs. »

