« Jusqu’ici, on n’a quasiment rien eu » à la COP29 en Azerbaïdjan, regrette François Gemenne
«Zéro bilan à moitié de la COP29 ». La phrase incisive du politologue François Gemenne résume l’absence d’avancées de la conférence des parties (COP) des Nations unies sur le climat. L’enjeu de cette 29e session de négociations est d’aboutir à un financement de la transition écologique des pays en développement par les pays riches, historiquement plus émetteurs de gaz à effet de serre. Le chiffre de 1.000 milliards de dollars par an d’aide climatique, issu des conclusions d’économistes, est devenu un objectif.
Revenu cette semaine de Bakou, le chercheur, qui a aussi un rôle d’observateur dans le processus, explique ce qui se joue en Azerbaïdjan, où les négociations se déroulent jusqu’au 22 novembre (sauf prolongation).
On parle de cette COP comme d’une COP finance. Pourquoi est-elle si importante pour les pays du Sud ?
Le sujet de cette COP est fondamental, car il doit permettre de donner les moyens financiers nécessaires à l’accord politiquement ambitieux issu de la COP28 [qui fait état d’une sortie progressive des énergies fossiles afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, nldr]. Sans financement, cet accord risque de rester lettre morte.
La question des pertes et dommages est vraiment la pierre angulaire de la justice climatique entre pays du Sud et pays industrialisés, avec la question de l’évaluation des pertes et dommages et de qui va payer [les pays riches doivent le faire selon les textes de l’ONU, mais ils plaident pour que des pays considérés comme émergents, comme la Chine, contribuent, ndlr]. Je serais favorable, par exemple, à ce qu’on demande une contribution aux entreprises privées en disant il n’y a pas que les gouvernements qui sont responsables des émissions.
Il faut trouver des mécanismes qui permettent d’orienter bien davantage les investissements pour l’adaptation et la transition énergétique vers les pays du Sud. Le risque, si ces pays n’ont pas les moyens, c’est qu’ils aillent simplement exploiter leurs ressources en énergies fossiles. Beaucoup de pays du Sud réclament, et on les comprend, le droit d’exploiter ces ressources au nom du droit au développement.
Après une première semaine de négociations, quel bilan peut-on tirer ?
On peut dire qu’il y a zéro bilan à la moitié de la COP. Jusqu’ici, on n’a quasiment rien eu. Autant l’an dernier à la même période à Dubaï, on pouvait se dire qu’il y avait une décision importante sur le fonds pertes et dommages, plusieurs textes étaient sur la table. On voyait bien comment ça pouvait se décanter.
Ici, il n’y a vraiment pas grand-chose, car il y a beaucoup de discussions qui partent dans tous les sens. On n’a même pas encore vraiment de texte avec potentiellement plusieurs versions entre lesquelles il faudrait trancher. Les rares textes qui circulent ont quasiment une cinquantaine d’options. Je crains qu’on n’ait pas une présidence suffisamment directive. Ça fait une conversation qui tourne un peu à vide.
Mille milliards de dollars par an, est-ce suffisant pour financer la transition des pays du Sud ?
Mille milliards, ce n’est pas beaucoup d’argent. Ça paraît un peu provocateur à l’échelle d’un individu, mais 1.000 milliards, c’est le montant qui sera investi en 2024 dans les énergies fossiles par le privé, sans parler des subventions publiques. Les montants des contrats en cours des assurances vie des Français, c’est 1.800 milliards d’euros, les montants mobilisés en 2009-2010 pour sauver les banques, c’était 35.000 milliards de dollars.
On a l’impression qu’on va demander aux gouvernements de sortir le carnet de chèques alors que ce qui compte, surtout, c’est d’essayer de réorienter toute une série de flux financiers qui existent, mais sont dirigés vers les énergies fossiles. Ce chiffre de 1.000 milliards est proposé, mais pas adopté. Et on considérerait sans doute comme un succès de s’être mis d’accord sur cette somme globale, mais tant qu’on n’a pas décidé de qui payait et comment, on n’est pas très avancé.
Avez-vous encore l’espoir qu’un accord soit possible ?
Oui, il y a quand même toute une série de négociateurs chevronnés qui se rende bien compte qu’avoir une COP avec vraiment rien du tout, sera assez calamiteux comme signal, surtout dans le climat actuel avec un ressentiment des pays du Sud envers les pays industrialisés, l’influence des conflits en Ukraine, à Gaza, au Liban et la montée des populismes avec l’élection de Trump.
J’ai quand même l’espoir qu’il y ait quelque chose à la fin même si ce quelque chose sera sans doute des accords sur certains points techniques, quitte à ne pas avoir de déclaration finale. Mais on aurait tort de considérer cela comme mineur ou secondaire, parce que, parfois, ce sont des accords sur des points techniques qui vont permettre de déclencher toute une série de financements.