« Jeune mamans et pression d’allaiter : « Je me suis sentie nulle » »
L’Organisation mondiale de la santé recommande un allaitement maternel exclusif pendant les six premiers mois de la vie du bébé. En France, plus d’un tiers des enfants de six mois étaient allaités en 2021.
Un allaitement maternel exclusif durant les six premiers mois de la vie d’un bébé : telle est la recommandation actuelle de l’OMS, qui considère le lait maternel comme plus bénéfique pour la santé de l’enfant comparé aux laits en poudre. En France, plus d’un tiers des enfants de six mois étaient allaités en 2021. Face à ces données, certaines mères peuvent ressentir une pression à donner le sein.
Alors que l’allaitement n’a pas suscité de réactions particulières dans l’entourage d’un grand nombre de jeunes mères, d’autres, ne désirant pas ou souhaitant arrêter d’allaiter, ont pu éprouver un sentiment de culpabilité face à l’incitation à l’allaitement. Plusieurs d’entre elles partagent à *20 Minutes* les remarques culpabilisantes qu’elles ont reçues.
« Mes tétons saignaient mais les infirmières me disaient que c’était mieux pour ma fille »
Dès les premiers jours avec sa fille, Jessica, 26 ans, évoque un épisode douloureux. « J’avais peu, voire pas de lait, et on m’a forcée à allaiter à la maternité. Mes tétons saignaient et je souffrais le martyre, mais l’infirmière me disait que c’était mieux pour ma fille. Une malade ! » Heureusement, une spécialiste de l’allaitement est intervenue en sa faveur. « Elle a dit à l’infirmière « vous ne voyez pas que la petite avale du sang là ? » L’autre s’est trouvée complètement stupide. »
Le pédiatre et auteur de *Bébé, premier mode d’emploi* (Editions Hachette) Arnault Pfersdorff affirme que « l’allaitement est un sujet très culpabilisant pour les mamans, et il peut arriver qu’il y ait des remarques ». Toutefois, il précise : « À la maternité, on fait très attention à bien leur répéter qu’allaiter ou non relève d’un choix personnel et que peu importe ce choix, ce sera très bien et le bébé aura ce qu’il faut. »
« J’ai pleuré pendant toute la consultation »
Bien qu’elle allaite sa fille exclusivement, Léa, 31 ans, a subi des remarques culpabilisantes de la part d’une conseillère en lactation, consultée pour l’aider à se libérer des bouts de sein d’allaitement. « Au lieu de conseils, elle m’a dit qu’il manquait un kilo à ma fille et qu’il fallait que je fasse toujours plus de sein. Je me suis sentie nulle. Tu es maman et on te dit que tu ne nourris pas assez ton bébé. Pour moi, c’était un immense échec. J’ai pleuré pendant toute la consultation. » Suite à ce rendez-vous, Léa se met une pression supplémentaire. Pendant deux mois, elle fait une tétée de trente minutes toutes les deux heures à sa fille, soit six heures par jour, épuisée sur son canapé.
Mère ayant eu recours au tire-lait pour remplir son biberon au bout de deux mois et demi à cause de sa reprise du travail, Sonia* a également croisé une soignante peu empathique. Lorsque sa fille ne buvait plus depuis 48 heures, elle se rend aux urgences. « La pédiatre m’a dit que ma fille vivait mal le biberon et m’a demandé d’arrêter de travailler pour la nourrir. Je lui ai dit que ce n’était pas mon plan, alors elle m’a culpabilisée en disant que je faisais passer mes besoins avant ceux de mon enfant. » Enceinte de son deuxième, Sonia a peur de devoir de nouveau faire face à ce type de jugements.
« Il y a un peu ce discours de “je suis une meilleure mère parce que j’allaite” »
Véronique, 69 ans, estime que ces reproches ne sont pas nouveaux. « En tant que médecin libérale, j’ai dû reprendre le travail un mois après mon accouchement et c’était vraiment court pour allaiter correctement. » Elle a donc choisi le lait en poudre dès les premiers jours à la maternité. « J’ai subi des réflexions très désobligeantes de la part des infirmières et d’autres membres du personnel. »
Au-delà des professionnels de santé, Léa ressent une pression globale. « Des mères de mes amis m’ont dit qu’il fallait absolument allaiter alors qu’elles-mêmes ne l’avaient pas toujours fait. J’ai trouvé ça assez hypocrite. » Le coup de grâce a été porté par sa cousine. « Elle était fière d’avoir tenu longtemps, plus de six mois, voire d’avoir souffert. Ça virait presque au truc de mère sacrificielle. » Globalement, Léa considère qu’ « il y a un peu ce discours de “je suis une meilleure mère parce que j’allaite”. »
« Elle m’a dit que deux mois, c’est déjà super »
Le Dr Pfersdorff confirme : « il existe des jusqu’au-boutistes en matière d’allaitement. Des membres d’associations le prônent à tout prix et culpabilisent les mères qui ne souhaitent pas allaiter en disant que la nature est faite pour ça. » Léa juge que le sujet est polarisé entre deux extrêmes : les pro et les anti. « Quand tu veux juste allaiter mais sans te perdre, c’est compliqué. Il n’y a pas d’entre-deux. »
Heureusement, Léa rencontre une sage-femme bienveillante. « Je lui ai dit que j’étais contente d’allaiter et de tenir longtemps mais que ça me faisait souffrir et que j’avais l’impression de ne faire que ça de ma vie. » La sage-femme relativise la question du poids et la déculpabilise. « Elle m’a dit que deux mois, c’est déjà super, et que je pouvais compléter avec du lait infantile. » Depuis, Léa continue à allaiter exclusivement mais se sent beaucoup mieux.
Cependant, les femmes préférant le biberon ne sont pas les seules à recevoir des remarques désobligeantes. Lila, mère de 35 ans allaitant sa fille depuis maintenant 17 mois, subit de nombreux avis non sollicités. « On m’a dit “c’est malsain”, “c’est sexuel”, “tu vas en faire une dépendante”. À quel moment les gens se donnent-ils le droit de dire de telles choses ? » Elle souligne que l’allaitement ne concerne que la mère et son enfant.

