France

« Jeanne du Barry, c’est l’histoire de ma vie » confie Maïwenn

C’était la favorite de Louis XV, roturière et femme galante que le roi a imposée à Versailles après lui avoir fait épouser un noble de la cour. Avec Jeanne du Barry, Maïwenn s’attaque à un gros morceau face à un Johnny Depp très convaincant en souverain et à unBenjamin Lavernhe qui leur vole parfois la vedette en valet dévoué. Ce film à la mise en scène volontairement classique est aussi superbe visuellement que riche en émotions. Maïwenn est non seulement convaincante dans le rôle, mais la réalisatrice de Polisse, Mon roi ou ADN confirme qu’elle est devenue une cinéaste essentielle. Maïwenn a accepté de se confier à 20 Minutes quelques jours avant d’ouvrir le Festival de Cannes.

Comment appréhendez-vous la présentation du film à Cannes ?

Cela dépend des moments. J’ai peur que les gens s’en aillent pendant la projection. Je n’ai pas la pression de la compétition cette fois, mais le film sort en salle le même jour. Je me dis qu’après Cannes, tout sera soudainement terminé même si je pense me glisser incognito dans les salles pour voir les réactions des spectateurs. J’espère qu’ils riront, car j’aime l’humour, et qu’ils seront aussi émus par l’histoire d’amour. Ce film est un rêve qui se concrétise pour moi, une étape importante dans ma vie.

Depuis quand envisagiez-vous ce projet ?

17 ans ! J’ai découvert Jeanne du Barry dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola. L’idée a mûri dans ma tête pendant des années. J’avais même parlé du projet à une autre actrice. J’ai ensuite longtemps pensé que le film ne se ferait pas avec moi tant cela traînait et puis je me suis rendu compte que si j’avais tant envie de le réaliser, c’est que j’avais aussi envie d’incarner Jeanne. Après des années à expérimenter la mise en scène sans moi puis avec moi comme actrice, j’ai compris que j’étais prête pour ce rôle qui me ressemble. Ce temps d’attente m’a permis d’avoir ce recul.

Qu’est-ce qui vous attirait tant chez Jeanne du Barry ?

Ce film, c’est l’histoire de ma vie ! Je me retrouve dans de nombreux aspects de sa personnalité et de ses expériences. Le tempérament, la joie de vivre, la curiosité, l’appétence d’apprendre, le goût pour la lecture et la culture aussi. Sa liberté de pensée, son choix du naturel, son souhait de n’être jamais sophistiquée, de s’habiller comme elle veut, d’aimer qui elle veut me parlent. Tout comme sa façon d’évoluer dans un univers bourgeois, hostile à sa classe sociale et d’aimer un homme de pouvoir plus âgé qu’elle. Versailles pourrait être une métaphore du milieu du cinéma qui m’a longtemps traitée avec condescendance.

Vous êtes-vous retrouvée dans son côté fillette émerveillée ?

C’est quelque chose que j’assume totalement ! J’aime les choses matérielles, les bijoux, le luxe, la légèreté… Je peux comprendre que Jeanne soit vénale, ce qui ne l’empêche pas de faire montre de profondeur et d’aimer le roi. Elle a un rapport très naturel à ce qui l’entoure et cela tranche à Versailles où tout est artificiel. Sa force de vie est immense dans un milieu coincé. C’est ce qui séduit tant le roi.

Votre film est-il politique ?

Il l’est par la force des choses car j’adopte un point de vue féministe. Mon film est féministe parce qu’il défend la mémoire d’une femme et sa liberté. Ce n’est pas parce que je ne connais rien à la politique que je n’ai pas de convictions. J’évite juste de parler sur ces sujets car il faut avoir une certaine repartie dont je manquerais sans doute pour défendre mes idées. Mon film parle pour moi, notamment de la condition de la femme que je décris d’une façon peut courante en parlant du pouvoir de la séduction, une force immense et un sujet qu’on n’ose plus aborder frontalement aujourd’hui. Il s’agit pourtant d’une arme puissante qui ne se limite pas au physique : celle de savoir se servir de son charme pour obtenir ce qu’on souhaite.

Ne craignez-vous pas que ce point de vue puisse choquer ?

C’est vrai que cette idée ne plaira pas forcément à tout le monde, mais il me semble important de la faire passer. Jeanne du Barry ne se voit pas comme une victime : c’est un point essentiel du film comme de sa psychologie. Elle est entrée volontairement dans la galanterie car elle préférait cela à l’idée d’être cuisinière comme sa mère. Elle a choisi de se servir de son corps pour bénéficier d’un luxe auquel elle n’aurait pas eu accès autrement. En gros, elle préfère faire la « grasse mat » que la vaisselle ! Je trouve moderne et féministe le fait qu’elle assume d’être une courtisane. Elle a son destin en main !

Jeanne n’est-elle pas tributaire du désir du roi ?

Tout le monde est plus ou moins tributaire du désir des autres, que ce soit personnellement ou professionnellement. Elle aime le roi au premier regard et Louis XV aurait dit à son valet : « C’est la première fois qu’une femme me fait ressentir que je suis un homme et pas seulement le roi. » Leur relation est très amoureuse et plutôt équilibrée car ils s’apportent beaucoup l’un à l’autre. J’ai voulu monter qu’ils étaient des êtres humains. J’ai aussi insisté sur le côté Alice au pays des merveilles de Jeanne en la perdant dans un labyrinthe où le spectateur la suit. J’adopte principalement son point de vue pour montrer ses réactions face au monde qui l’entoure.

Est-ce pour cela qu’à l’exception du roi, les autres personnages sont moins complexes ?

C’était effectivement un moyen de renforcer le côté « conte ». Les filles du roi sont volontairement proches de Javotte et Anastasia, les méchantes belles-sœurs de Cendrillon. Elles ne sont pas réalistes. La voix off est aussi une façon d’accentuer cela. J’avais même envisagé de commencer le film par « il était une fois » mais j’ai trouvé cela trop poussiéreux alors j’ai abandonné l’idée. Il n’y a que le personnage de valet qu’incarne Benjamin Lavernhe que j’ai beaucoup développé, comme une liaison entre le duo que forment Jeanne et le roi sur lequel le film est centré.

Ce valet a-t-il existé ?

J’ai mêlé plusieurs personnes réelles pour créer ce personnage et j’ai fait la même chose pour tout le film. J’ai puisé dans toutes les anecdotes que des historiens me racontaient afin de me les approprier. J’ai effectué pas mal de visites à Versailles, parfois seule, parfois avec mon coscénariste Teddy Lussi-Modeste. Je me suis imprégnée du lieu où il m’était bizarrement beaucoup plus facile d’écrire qu’à Paris. J’ai voulu tout voir et tout savoir pour créer mon propre XVIIIe siècle. Je voulais faire un film de fiction qui soit beau. Cela m’importait plus que la véracité historique. J’ai d’ailleurs fait appel à des chefs de poste issus de la mode pour favoriser ce côté esthétique.

Comment avez-vous trouvé votre style ?

Je n’ai pas voulu aborder cette histoire avec un style pop ou bonbon comme l’avait fait notamment Sofia Coppola. Je l’ai modernisée d’une façon différente de la sienne. J’ai beaucoup travaillé sur les dialogues qui ne sont pas du tout poussiéreux. Ce sont les miens. Aucun n’ont été écrits par un historien. C’est du langage d’aujourd’hui, simple et intemporel. Je pense que cela favorise l’identification du spectateur. C’est aussi pour cela que j’ai choisi une mise en scène propre, classique, un peu académique qui se rapprochait le plus possible de tableaux ou du cinéma des années 1970.

Comment Johnny Depp est-il entré dans l’équation ?

J’avais d’abord pensé à deux acteurs français avec lesquels cela ne s’est pas fait. Après quoi aucun autre comédien en France ne me donnait envie de le filmer dans le rôle du roi. Cela peut donner l’impression que je suis blasée mais je l’assume : j’ai alors décidé de privilégier mon désir à ma nationalité. J’ai commencé à penser à des acteurs étrangers qui étaient de l’ordre du fantasme. J’étais partagée entre l’idée qu’ils n’accepteraient jamais et le « qui ne tente rien n’a rien ».

Mais pourquoi Johnny Depp ?

Pour moi Johnny, c’est Cry-Baby de John Waters qui a été une claque énorme pour moi. Je l’avais vu quatre fois en salle à sa sortie en 1990, et, croyez-moi, pour l’ado que j’étais alors, quatre tickets de cinéma constituaient un sacré budget. Je connaissais le film par cœur tant les chansons que les dialogues ! J’avoue ne pas être familière avec sa filmographie après. Je ne connais pas les Pirates des Caraïbes.

Avez-vous tout de suite su qu’il serait crédible en roi ?

Absolument. Quand je l’ai rencontré avant son premier procès, j’ai été convaincue par ce qu’il dégage dans la vie. C’est quelqu’un d’écorché, de sombre, de torturé. Il a une sensibilité féminine palpable et une forme de romantisme très fort. Je l’avais entendu parler français dans des interviews et je ne me faisais pas de souci pour son accent. Il a été facile à diriger même s’il avait souvent des questions, ce qui est normal sur un tournage qui devait le changer de ses habitudes.

Et comme partenaire, vous a-t-il posé des problèmes ?

Aucun souci. J’avais juste peur qu’il pense que je profitais de la situation pendant la scène de baiser. Mais j’avais un deuxième cerveau qui se mettait en route en me demandant si la caméra était bien placée et quel allait être le rendu à l’écran. En fait, ça n’avait vraiment rien d’émoustillant. C’était plutôt technique.

Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?

Réussir à faire un film tient du miracle. A chaque fois que j’en réalise un, c’est si dur que je me dis que c’est le dernier. C’est un tel combat où il faut constamment régler des problèmes que je finis par me demander pourquoi je m’inflige ça ! D’autant plus que j’ai souvent l’impression que les soucis logistiques m’éloignent de la création. Puis, je tombe sur un sujet qui me passionne et c’est reparti. Là, il est trop tôt pour y penser…