France

« Je viens là pour une aspiration et j’entends des bébés »… Ces femmes reçues à la maternité après une fausse couche

Dans la salle d’attente des urgences gynécologues d’un hôpital parisien, Juliette, enceinte de deux mois, vient d’apprendre que le cœur du fœtus qu’elle porte ne bat plus. Face à elle, des femmes au ventre rond sur le point d’accoucher, et d’autres venant pour un suivi de fin de grossesse. « Je me suis retrouvée face à des personnes qui vivaient une situation que je ne vivrai pas huit mois plus tard, se désole Juliette. Je n’arrêtais pas de pleurer. J’ai vécu ce mélange comme une violence supplémentaire. »

Cette expérience douloureuse, survenue début 2024, est partagée par de nombreuses femmes ayant vécu des fausses couches. Car à moins que l’embryon ne s’évacue de lui-même, elles doivent souvent avoir recours à une aspiration ou prendre un médicament délivré à l’hôpital visant à faciliter l’expulsion du fœtus.

« J’entendais les pleurs de bébés »

« C’était terrible », résume Magali, 42 ans, qui vit dans l’Essonne. Elle a vécu un arrêt spontané de grossesse un an après la naissance de son premier enfant. « Je voyais des mamans avec leur nourrisson, d’autres enceintes jusqu’au cou. J’entendais des pleurs de bébés ou le cœur d’un fœtus qui battait dans une salle à côté. » Marine, mère de deux enfants, ne pouvait pas s’enlever de la tête le fait qu’elle avait attendu dans cette même salle, quelques années plus tôt, pour être déclenchée. « J’avais conscience que j’aurais dû être là pour accoucher et ça m’a rendue très, très triste. J’ai beaucoup pleuré, c’était hyper dur. »

Ayant subi deux fausses couches, Lucie, 33 ans, a dû attendre de longues heures dans un couloir au milieu de femmes enceintes. Elle se souvient d’un couple dont la femme était sur le point d’accoucher. « Tout le monde s’est occupé d’eux et moi, je me suis retrouvée là, assise sur ma chaise, à regarder la scène. Je me suis sentie tellement seule. J’avais envie de partir en courant. »

« Les futures mamans autour de moi étaient choquées »

Certaines femmes ont dû faire face à cette confrontation quelques minutes seulement après l’annonce de la fin de leur grossesse. C’est le cas d’Aurélie, 35 ans. « Je pleurais et je tremblais. Les futures mamans autour de moi étaient choquées qu’on m’ait laissée seule dans cet état. Elles étaient aussi stressées de me voir comme ça, redoutant sûrement d’avoir la même annonce. » La trentenaire a dû revenir le lendemain pour un curetage (le retrait des résidus) et a cette fois-ci dû attendre sept heures dans la même salle. « J’y ai d’ailleurs croisé une personne que je connaissais, enceinte jusqu’au cou… »

C’est l’image d’un futur père patientant dans la salle d’attente avec sa famille qui a surtout marqué Clara, ayant fait quatre fausses couches en un an et demi. « Ils partageaient leur bonheur pendant que je pleurais dans les bras de mon conjoint. » L’épreuve se transforme en supplice lorsqu’une sage-femme emmène le nouveau-né à son père, sous les yeux de Clara et de son compagnon. « On était tous les deux en larmes et eux criaient de joie. Je comprends leur bonheur mais cette scène me reste encore en tête. Ce pauvre couple n’y pouvait rien et je sais que je ne devrais pas dire ça, mais j’avais envie de jeter le landau par la fenêtre. Je trouvais ça tellement injuste, j’étais tellement en colère… Nous étions au plus bas et nous avons eu la sensation qu’on nous en rajoutait encore. »

« Je ne peux pas, j’entends des bébés, je viens là pour une aspiration »

La jeune femme de 32 ans, vivant dans l’est de la France, déplore le fait que les médecins de ville ne puissent pas prescrire les médicaments utilisés dans le cadre d’un arrêt spontané de grossesse, obligeant les femmes concernées à se rendre à l’hôpital. Un sujet dont le secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (Cnof), le docteur Geoffroy Robin, a bien conscience. « C’est effectivement problématique, mais cela devrait bientôt changer, assure le praticien hospitalier. Il y a un travail de réflexion en cours pour que ces médicaments puissent être accessibles aux médecins en libéral. Ils y auront probablement accès directement dans leur cabinet, à leur propre demande. »

Mais ce cachet n’est pas toujours efficace. Magali a donc dû se rendre une seconde fois aux urgences afin de prévoir une aspiration de son fœtus. Un retour de trop en salle d’attente. « J’ai été prise d’une crise d’angoisse terrible. J’ai commencé à pleurer à sanglots. » Plusieurs soignants passent. Personne ne réagit jusqu’à ce qu’une sage-femme lui demande ce qui ne va pas. « Je lui ai dit “Je ne peux pas, j’entends des bébés, je viens là pour une aspiration.” » Magali est rapidement prise en charge et partage son désarroi avec le médecin. « Je lui ai dit “c’est une torture d’être ici, c’est inadmissible qu’il n’y ait pas une pièce décorrélée de la maternité ou trois couloirs plus loin”. Il m’a dit “oui, je sais”. »

« On ne peut pas pousser les murs »

Bertrand de Rochambeau, président du syndicat national des gynécologues obstétriciens de France (SYNGOF), reconnaît la situation mais ne semble pas voir de solutions. « Bien sûr qu’idéalement, il faudrait qu’elles ne soient pas en service de maternité mais de chirurgie. Mais pour cela, il faudrait du personnel dans le service chirurgie formé à la fin de grossesse. Et on n’en a pas. » Quant à la possibilité de créer deux espaces bien distincts au sein de la maternité, « on ne peut pas pousser les murs et multiplier les centres d’accueil. »

Pour le secrétaire général du Cnof, il s’agit d’un « vrai problème ». Il assure que le nouveau président du Collège aimerait développer des structures « comme aux Etats-Unis », avec des unités indépendantes au sein des urgences gynécologiques, spécialisées dans la gestion du début de grossesse.