France

« Je veux reprendre le goût du voyage », témoigne ce Français touché par deux crashs d’avion

Il pensait ne plus jamais mettre les pieds dans un avion. Un mode de transport qui a bouleversé sa vie. Traumatisé par un accident auquel il a échappé très jeune, endeuillé par la mort de son père lors de la catastrophe aérienne de Phuket (Thaïlande) en 2007, David Bembaron souffre d’une grande peur de prendre l’avion qui se manifeste par des insomnies, du stress et des palpitations cardiaques. Quinze ans après son dernier voyage aux Etats-Unis par les airs, l’homme de 50 ans s’est décidé à surmonter ses angoisses en participant à des stages dispensés par la compagnie aérienne Air France. Pour son épouse et ses enfants. Pour ne pas s’empêcher de voyager. Entretien.

David Bembaron préside l'association des victimes de la catastrophe aérienne de Phuket (Thaïlande) qui a provoqué la mort de 90 personnes dont son père.
David Bembaron préside l’association des victimes de la catastrophe aérienne de Phuket (Thaïlande) qui a provoqué la mort de 90 personnes dont son père. - A.flepp/20Minutes

Vous avez été victime d’un accident aérien en 1985 sur la piste de l’aéroport de Perpignan Rivesaltes. Quels sont vos souvenirs de cet événement ?

Je voyageais seul en tant qu’enfant accompagné. Je devais rejoindre mes grands-parents pour les vacances scolaires. Je me souviens d’un silence très pesant au moment de poser l’appareil, puis il y a eu un vacarme, le choc était assez violent. L’avion a fait une sortie de piste à l’atterrissage, le train avant s’est cassé et on a terminé le nez planté dans la terre. Une passagère m’a attrapé la main et on a couru vers les sorties de secours pour être évacué grâce à un toboggan. C’était ensuite la course à travers les champs pour s’éloigner d’un avion qui menaçait d’exploser.

Quels retentissements ce crash a-t-il eus sur votre santé et votre quotidien ?

L’accident qui s’est produit alors que j’avais 10 ans a bouleversé ma vie. Ce fut le point de départ de mes difficultés à voyager en avion. J’ai dû le reprendre un peu contraint car mes parents voulaient continuer à voyager. Mais à chaque fois, c’était une angoisse absolue. Dès que j’ai été en âge de pouvoir prendre des décisions, j’ai mis un coup d’arrêt à ce mode de transport.

Vous n’avez donc plus jamais repris l’avion ?

Je n’ai plus voyagé en avion pendant une quinzaine d’années jusqu’à la rencontre avec mon épouse vers l’âge de mes 30 ans. Je me suis décidé à l’idée de le reprendre et à surmonter mes peurs pour mon épouse, pour pouvoir voyager. Je ne me sentais pas légitime à lui imposer mon stress au point de la limiter dans ses envies de déplacement.

Comment se manifestent les symptômes de votre angoisse de l’avion ?

En général, ça commence la semaine qui précède le voyage. Je fais de l’insomnie et parfois quelques cauchemars. J’ai le cœur qui bat vite, j’ai de la nausée. Ces symptômes s’intensifient entre la semaine qui précède le voyage et l’embarquement. Même à l’arrivée, l’odeur du kérosène est quelque chose qui est désagréable, ça me stresse. Les premières années, on ne voyageait pas très loin et puis petit à petit on a commencé à aller plus loin, à traverser l’Atlantique. J’ai aimé le fait d’être en vacances, de découvrir une autre culture, c’est ce qui m’a donné la force de pouvoir le faire. C’est comme ça que je me suis retrouvé à Los Angeles en septembre 2017, le dernier jour de voyage de notre anniversaire de mariage.

C’est à ce moment-là que vous apprenez que votre père se trouvait dans le Boeing MDD82 qui s’est écrasé à l’aéroport de Phuket, en Thaïlande…

Oui, j’ai reçu dans la nuit un appel d’une personne que je ne connaissais pas qui m’annonce qu’un terrible accident s’est produit. J’allume la télévision et je tombe sur des informations en continu. Je comprends que je ne verrais plus mon père. Je me retrouve dans une situation horrible, entre l’histoire de mon accident qui aurait pu être fatal et celui de mon père qui a perdu la vie à l’autre bout du monde. Je dois revenir en France mais j’étais tétanisé à l’idée de prendre un vol retour. Ce drame s’est rajouté à mes traumatismes et à mon stress post-traumatique de mon premier accident. Je me suis posé la question de reprendre l’avion pour aller en Thaïlande. Finalement, ma famille m’a déconseillé d’y aller pour me protéger.

Depuis dix-huit ans, avez-vous retrouvé la force de voyager par les airs ?

Oui, une seule fois. Je me suis forcé à reprendre l’avion en 2010, mais avec un traitement médicamenteux pour essayer de ne pas trop y penser. Je suis retourné aux Etats-Unis où j’avais laissé une partie de mon histoire. J’avais quitté ce pays précipitamment en ayant le sentiment d’être arraché de ce monde. Et puis, mon épouse a vécu mon traumatisme indirectement, ce qui nous a poussés à arrêter de prendre l’avion. Aujourd’hui, j’ai envie de reparcourir le monde. J’ai participé à un stage Air France d’une journée pour apprendre à gérer son stress. Un commandant de bord et une hôtesse ont détaillé les différentes étapes d’un vol et les difficultés parfois rencontrées comme les turbulences. On a été immergé dans un simulateur qu’utilisent les pilotes en formation qui reproduit les manœuvres classiques d’un pilote. Mais aussi la gestion de situations à problème, comme des défauts de moteur ou des turbulences plus importantes.

Ce stage vous a-t-il aidé à mieux gérer votre stress ?

Non, j’en suis ressorti un peu chamboulé. Le simulateur est hyperréaliste et ça m’a replongé dans mes difficultés. Je dirai que ce stage a eu un effet contre-productif. Mais j’ai bien conscience qu’un seul stage ne sera pas suffisant pour venir à bout de mes angoisses. Je me suis engagé à en faire d’autres avec le Centre de traitement de la peur de l’avion (CTPA). Je pense qu’il faut créer un programme plus adapté aux familles de victimes. J’ai abordé ce sujet avec les équipes d’Air France pour proposer un accompagnement progressif de ces populations.

Vous avez donc l’espoir de surmonter votre peur. Que peut-on vous souhaiter ?

De repartir et de reprendre le goût du voyage. J’ai envie que ma famille puisse avoir une vie normale et j’ai parfois l’impression d’être une contrainte. Je ferai cet effort pour eux. Donc, mon but c’est de remonter dans un avion.