France

« Je suis un exhibitionniste des sentiments », confie le chanteur Pierre de Maere

Il y a un an, quand on a demandé à interviewer Pierre de Maere, on pressentait qu’on n’aurait pas fini d’entendre parler de lui. A l’époque, il faisait la promotion d’un EP, Un jour, je, et assumait son souhait de devenir célèbre. La notoriété, disait-il, est le signe « que tu as réussi à toucher un tas de monde. Si je fais de la musique, ce n’est pas pour mon père et ma mère. » Lorsqu’on le retrouve, début janvier, dans un bistro du 3e arrondissement de Paris, on se dit qu’il est bien parti pour réaliser son rêve. Aux prochaines Victoires de la musique, il sera en lice parmi les révélations masculines. Il concourt aussi pour le trophée de la chanson de l’année avec Un jour je marierai un ange, son premier tube.

Le Belge de 21 ans nous prévient : il ne veut pas être un artiste à la mode. « Je n’aime pas la tendance, parce que la hype retombe aussi vite qu’elle est arrivée. J’aimerais beaucoup bâtir une carrière solide, aller chercher les gens au fur et à mesure de manière saine, organique, prendre le temps de fidéliser le public », explique-t-il. Il est bien parti pour cela : son premier album, Regarde-moi, qui sort ce vendredi, est une réussite de bout en bout. On insiste : vous n’avez vraiment pas fini d’entendre parler de Pierre de Maere.

Décrocher deux nominations aux Victoires de la musique sur la foi d’un EP de cinq titres, ce n’est pas banal…

Je suis hyper heureux. Pour être honnête, il y a encore deux ans, je ne connaissais pas les Victoires. C’est en signant avec le label que j’ai compris que c’était une priorité pour tout le monde. Je visais la nomination en révélation masculine. Celle en chanson de l’année, c’est plutôt une bonne surprise, un bonus qu’on prend avec grand plaisir. Se retrouver face à Stromae, Orelsan, Clara Luciani et Juliette Armanet, c’est très flatteur. C’est crédibilisant, ça installe le projet dans une sphère plus sérieuse, même si je n’ai pas envie de devenir sérieux.

Le succès d’Un jour je marierai un ange, ça aide à envisager sereinement la sortie de l’album ? Ou vous craignez que les autres chansons ne reçoivent pas le même accueil ? 

Je ne me mets pas tellement de pression car l’album a été écrit avant que le titre soit un succès. Il n’y a donc pas eu d’influence dans la création, je ne me suis pas dit « Il faut que je fasse une chanson comme Un jour je marierai… », je n’ai pas été parasité par ça. Je pense que l’album, en matière de production, se défend beaucoup mieux que l’EP, qu’il est musicalement bien au-dessus – je ne sais pas s’il est plus efficace, le temps nous le dira. Il y a quelque chose de fédérateur dans le texte d’Un jour, je marierai un ange et cela peut être difficile de retrouver ça.

Intituler l’album Regarde-moi, c’est risquer d’être accusé de narcissisme, non ?

Ce n’est pas « Regarde moi, je suis beau » mais « Regarde moi d’amour et trouve en moi la beauté ». C’est un appel romantique désespéré. La chanson, qui donne son titre à l’album, parle d’un artiste qui n’est pas reconnu, qui se produit sur des petites scènes. J’imaginais Lady Gaga avant qu’elle soit Lady Gaga. Elle racontait dans une interview que quand elle a commencé sans ses parures, sans la frime, elle se produisait dans des bars et personne ne l’écoutait. Puis, un jour, elle s’est mise à nu et tout le monde a commencé à la regarder, j’ai trouvé ça intéressant. Dans la chanson, je suis cet artiste qui ne parvient pas à être entendu et vu et se met à faire n’importe quoi, si bien que ça en devient pathétique. Il y a ce passage, qui est mon préféré de l’album : « Ce soir, je fais des bêtises, je m’arrache à coups de tise, la foule adore ma triste comédie, ce soir je strip et je tease. »

Il est beaucoup question de violence, de guerre, de mort, dans vos chansons… Pourquoi puisez-vous à ce point dans ce champ lexical ?

C’est une approche romantique, théâtrale, drama. J’aime bien les disques généreux en émotions. Je suis un exhibitionniste des sentiments à la base. J’aime quand c’est dramatique, y aller à fond, explorer des extrêmes. Les chansons ont un côté épique. J’aime bien cette passion. Je trouve qu’en France, ça manque, on a tendance à être blasés. Moi, j’ai envie d’être enthousiaste et de donner beaucoup plus que ce qu’il faut.

C’est un album de drama queen ou « drama queer » alors ?

Drama queer, un petit peu. Sans que ce soit prononcé, dans la subtilité. Dans Un jour…, je pense que les gens comprennent que l’ange est un garçon mais ce n’est pas exprimé comme ça. J’aime bien me dire que je n’en fais pas la thématique du morceau et que l’identité de genre de la personne que je recherche ne sera jamais le sujet. Mais j’aime bien normaliser la chose, en parlant en « il ». Je ne mène pas un combat queer parce que je n’ai pas été victime d’homophobie. Cela aurait été hypocrite et arriviste d’en faire mon identité alors que cela n’a jamais été une source de souffrance. En revanche, si je peux normaliser les choses, m’exprimer librement sur ce sujet, faire la couv’ de Têtu, c’est avec un grand plaisir.

Dans Enfant de… vous dites d’ailleurs rechercher une « fille d’une autre galaxie ». C’est pour brouiller les pistes ?

Je vais vous décevoir. Pour être franc, c’est purement musical. Une question de syllabes et de rimes. Cela passait trop bien, donc je me suis dit qu’il fallait l’écrire ainsi. « Je cherche un gars », ça ne marchait pas, il n’y avait pas le bon nombre de pieds. Maintenant, la phrase complète, c’est « Je cherche une fille d’une autre galaxie qui pourrait me faire aimer tout et son contraire. » Donc ça fait un peu plus de sens. Le morceau parle des opposés qui s’attirent et du fait, que selon moi, l’amour véritable, c’est de parvenir à faire des sacrifices et à faire faire des sacrifices à l’autre.

Le « fuckboy », c’est-à-dire le gigolo, de Bel-Ami qui couche avec des « folles fortunées », c’est une référence au roman ou au studio de porno gay ?

J’ai failli écrire « Promis, je n’irai plus sur BelAmi », donc j’avais l’idée en tête. Mais, en fait, le texte est né de ma lecture du livre de Maupassant. Je me suis arrêté à la page 270 parce que j’avais trouvé ce qu’il me fallait pour faire mon morceau – je suis très rentable dans mes lectures (rires). Le coach en ascension sociale dit au héros que la première chose à faire en arrivant à Paris, ce n’est pas d’avoir un beau logement mais un bel habit. Ça me parlait beaucoup parce que j’ai emménagé ici il y a six mois et, dans ma chambre de 9 m2, je n’ai toujours pas de lit mais deux matelas l’un sur l’autre. En revanche, j’ai une garde-robe luxueuse. Mais libre à chacun d’interpréter mes textes comme il veut. Je pense que beaucoup penseront que Ta mère est folle parle d’une femme qui n’accepte pas l’orientation sexuelle de son fils. Mais en réalité, j’ai écrit le texte en ayant en tête une grande copine à moi dont la mère est austère, réac à mort et surtout folle, en fait. Elle lui interdirait si elle le pouvait de coucher jusqu’à ses 35 ans. Je pense que l’intérêt de mes morceaux, c’est qu’ils laissent une liberté d’interprétation à l’auditeur.

Si chaque chanson raconte une histoire plus ou moins fictionnelle, laquelle parle le plus de vous ?

Regarde-moi est la plus personnelle. Je me suis retrouvé à faire des showcases dans des concerts privés où j’allais pour les sous. Personne ne m’écoutait ni ne me regardait. Tu te sens un peu comme le bouffon de la cour. Quand je vais chanter dans des villages où personne ne me connaît, avec une moyenne d’âge de 65 ans, et où les gens se déplacent parce qu’il est rare qu’il y ait un concert, il faut aller les chercher. Sur les quatre premiers morceaux, c’est difficile, je compte sur mes interventions, mes blagues, pour les séduire. En concert, je cherche un sourire dans le public pour me rassurer. Quand je regarde un spectateur dans les yeux et qu’il est de marbre, c’est horrible, je me demande ce qu’il pense…

Votre manière de chanter, avec des « r » roulés, des envolées dans les aigus, est très particulière, comment abordez-vous vos interprétations ?

Avec beaucoup de naturel, sans me poser de question. Quand j’ai enregistré mon premier morceau en français, Potins absurdes, je n’ai pensé à rien et ces r qui roulent sont venus d’un coup. Je n’ai rien inventé, on les retrouve chez Piaf, Brel ou Stromae. Je pense toujours musicalité. Un texte, avant d’avoir du sens, doit être musical. J’aime beaucoup Zed Yun Pavarotti : on ne comprend rien, mais ça ne me gêne pas parce que tout est fluide. A contrario, il y a des gens qui écrivent divinement bien mais dont la musicalité ne me touche pas. Je vais aussi chercher des aigus. J’aime bien jouer avec ma voix. Sans forcément assumer en concert, c’est compliqué après. En studio, quand on fait cinquante prises, ça m’encourage à tenter des choses que je ne referai pas forcément.

Donc le public qui viendra vous applaudir en tournée ne sera pas certain de vous entendre rouler les « r » ?

Les « r » roulés seront toujours là, mais n’attendez pas que chaque note, parmi les plus hautes, soit juste (rires). Je ne suis pas vocaliste. J’y travaille, mais je viens de loin. J’ai commencé il y a un an, je chantais très très mal et encore aujourd’hui c’est compliqué. Mon grand complexe, c’est que j’estime ne pas être un grand chanteur. Je suis peut-être meilleur producteur, parolier, mélodiste. J’ai conscience que j’ai une voix qui plaît mais la performance vocale est difficile. J’ai cependant eu un déclic en mai. Je suis allé voir Hubert Lenoir à la Maroquinerie et j’ai adoré. Il a un esprit hyper punk, libre, dans l’énergie et les émotions qu’il transmet. Musicalement, c’est génial. Il a un charisme fou. Je me suis rendu compte qu’en concert, ce qui compte plus que tout, c’est l’interaction avec le public. Je me dis qu’il faut que j’y aille à fond, en arrêtant de faire une fixette sur les notes. Mon chant s’améliore, je prends des cours. La Cigale était fausse du début à la fin, Le Trianon, c’était pas mal, je pense qu’à L’Olympia, je serai juste tout du long.

Que représente L’Olympia, où vous chanterez le 12 mai, pour vous ?

J’ai envie de proposer un show à la hauteur de la salle. On va intégrer un bassiste. Nous serons quatre sur scène. Basse, batterie, synthé ça va être hyper agréable pour moi parce que ça va m’offrir davantage de liberté, je pourrai improviser. Je ne pense pas tant au mythe de la salle, ni à l’accomplissement que cela peut représenter tant que ce n’est pas rempli et que le show n’a pas eu lieu. L’Olympia, c’est génial, mais ce n’est pas l’aboutissement, c’est le commencement. Après, ce sont les Zénith, Bercy…