« Je ne sais pas s’ils vont bien »… Deux pères se battent pour retrouver leurs enfants, enlevés au Kazakhstan par leurs mères
En 2023, selon la Fondation Droit d’Enfance, plus de 40.000 disparitions de mineurs ont été signalées en France. Si la majorité d’entre elles concerne des fugues, 661 cas ont été qualifiés d’enlèvements parentaux, en forte hausse (+ 21,5 %) par rapport à l’année précédente. Parmi eux, près de la moitié implique un départ vers l’étranger. Les couples binationaux n’ont à ce sujet jamais été si nombreux. Aujourd’hui, près de 30 % des mariages en France sont dits « mixtes », entre personnes de nationalités ou d’origines différentes. Mais quand ces unions se brisent, les enfants deviennent parfois les otages d’un conflit entre deux pays, deux cultures, et deux systèmes légaux.
Antoine Sibuet et Guillaume Garreau en ont fait l’amère expérience : leurs enfants ont été emmenés au Kazakhstan par leurs mères. Et malgré plusieurs décisions de justice en leur faveur, les autorités locales ne coopèrent pas et les ambassades sont impuissantes. La Convention de La Haye, censée garantir le retour rapide des enfants enlevés, reste lettre morte. Ils s’appellent Elsa, Aristide et Maximilien. Ils ont entre 3 et 6 ans. Et depuis des mois, ils vivent loin de leur père. 20 Minutes s’est entretenu avec ces papas désarmés.
« On est partis au Kazakhstan. On ne reviendra pas »
Antoine Sibuet rencontre sa future épouse alors qu’il vit lui-même au Kazakhstan en 2011. Après plusieurs années sur place, le couple s’installe successivement à Dubaï, au Tadjikistan et en Algérie avant de poser ses valises en France, juste après la naissance de leur fille Elsa, en 2018. Leur fils Aristide naît en 2020. Mais la relation se dégrade et en 2021, ils se séparent. Une garde alternée est mise en place à Roanne (Auvergne-Rhône-Alpes), ville dans laquelle chacun vit de son côté. Et c’est en juillet 2023 que tout bascule. Pendant sa période de garde, la mère quitte la France avec les enfants, sans prévenir. Antoine découvre une maison vide : volets fermés, compteurs coupés, placards vidés. « C’était clair que ce n’était pas un simple départ en vacances. » Quelques heures plus tard, un simple SMS : « On est parti au Kazakhstan. Ce n’est pas la peine de porter plainte, on ne reviendra pas. »

Aussitôt, Antoine Sibuet lance une procédure via la Convention de La Haye, qui a été signée par la France et le Kazakhstan. Il obtient gain de cause trois fois auprès de la justice kazakhe. Mais ça ne change rien. « L’huissier n’arrive pas à la localiser. Elle ne fait que donner de fausses adresses et a déscolarisé les enfants. » Le père de famille n’a plus aucun contact avec ses enfants depuis novembre 2023. « Je ne sais pas où ils sont. Je ne peux pas leur parler. Je ne sais même pas s’ils vont bien. »
La Convention de La Haye, un outil puissant mais inégalement appliqué
Adoptée en 1980, la Convention de La Haye vise à lutter contre les enlèvements parentaux internationaux. Elle repose sur un principe simple : lorsqu’un parent emmène un enfant à l’étranger sans l’accord de l’autre, l’enfant doit être renvoyé rapidement dans son pays de résidence habituelle, pour que les litiges de garde y soient réglés.
Mais même si plus de 100 pays ont signé la Convention, son application est très inégale. Certains pays ne coopèrent pas réellement, même s’ils en sont signataires. Pour le parent resté dans le pays d’origine, le parcours devient un labyrinthe : procédures longues, coûteuses, parfois ignorées ou bloquées. Résultat : des parents abandonnés, des décisions non exécutées, et des enfants bloqués à l’étranger pendant des mois… voire des années.

« Elle m’a dit : “on a eu le Covid, on reste plus longtemps.” »
Chercheur à San José, Guillaume Garreau est Franco-Américain. En 2018, il rencontre sa future compagne à San Francisco lors d’une soirée entre expatriés. Un an plus tard, ils se marient, en pleine pandémie. « La mairie était fermée, les frontières aussi. On s’est mariés sur Microsoft Teams, avec deux employés municipaux comme témoins. » Leur fils, Maximilien, naît en 2021. Mais très vite, la situation familiale se détériore. Guillaume tente d’abord de comprendre. « J’excusais beaucoup de ses colères. Je me disais que c’était le stress, qu’on essayait d’avoir un enfant… Puis même après la naissance, je trouvais toujours des excuses. » Mais la violence monte et le quotidien devient vite invivable.
Après une séparation difficile, Guillaume obtient la garde partagée de leur fils. Puis en 2023, son ex-compagne demande à emmener leur fils au Kazakhstan pour « des vacances ». Guillaume se méfie. « Dès que j’ai su qu’elle pouvait partir, j’ai su qu’elle pouvait ne pas revenir. » Il anticipe et demande à la juge californienne que des AirTags soient cousus dans la poussette et le manteau de son fils, et impose un appel vidéo quotidien. La juge accepte. Alors son ex-femme part. Et pendant douze jours, elle respecte l’accord. « Deux jours avant le vol retour, elle m’annonce : “On a eu le Covid, on reste plus longtemps.” Puis, les AirTags sont désactivés. J’ai compris : ce n’était pas le Covid. Elle n’allait jamais revenir. » Guillaume se lance alors dans un marathon judiciaire. Lui aussi gagne devant la justice américaine ainsi que devant la justice kazakhe. « Mais elle ne bouge pas. Parce qu’elle est sa mère. Parce que je suis un homme. Et parce que je suis étranger. »
Une lutte coûteuse
Malgré tout, Guillaume Garreau tient. Il part au Kazakhstan. Engage un huissier sur place qui piste les anciennes adresses. « On en a trouvé une où elle avait reçu des journalistes. Le concierge de l’immeuble m’a dit que les voisins se plaignaient de disputes violentes. Et que l’enfant… ne sortait jamais. » Son fils, Maximilien, a aujourd’hui 3 ans et demi. Il ne parle presque plus. Diagnostiqué autiste juste avant le départ, il devait commencer une thérapie à son retour. Elle n’a jamais eu lieu. Guillaume Garreau l’a revu une fois, par Zoom, pour une évaluation psychologique. Ému, il nous confie que son fils ne l’a « pas reconnu. En même temps, j’étais quatre pixels sur un téléphone. »
Dans l’attente, Guillaume continue de payer : les avocats, les billets d’avion, la crèche de son fils « au cas où », l’assurance santé. Il vend, emprunte, et surtout s’endette. « Cette situation m’a coûté plus de 100.000 dollars. J’ai lancé une cagnotte pour tenir. » Une cagnotte en ligne qui a à ce jour récolté un peu plus de 10.000 dollars. « Aujourd’hui, ma seule option légale, c’est que le gouvernement américain fasse pression sur le Kazakhstan. Sans ça, je ne reverrai jamais mon fils. »

« Tout ce que je demande, c’est qu’on applique les décisions de la justice »
Pour Antoine Sibuet et Guillaume Garreau, les recours juridiques sont terminés. La justice, en France, aux États-Unis, au Kazakhstan, leur a donné raison. « J’ai gagné trois fois. Tout ce que je demande, c’est qu’on applique les décisions de la justice. », résume Guillaume. Mais malgré des décisions claires, les autorités locales refusent de coopérer. « L’ambassade fait ce qu’elle peut, mais elle ne peut pas forcer la police locale. Et la police locale ne fait rien. C’est un mur », constate Antoine. Le silence diplomatique les laisse seuls face à l’inaction. « Je n’ai plus de recours en Californie. Il ne reste que la diplomatie. Si les États-Unis ne font pas pression, je ne reverrai jamais mon fils », poursuit Guillaume. Antoine, lui, dénonce des priorités politiques assumées : « La France ne veut pas se fâcher. Le Kazakhstan, c’est l’uranium, le pétrole, le gaz. Il vaut mieux perdre deux enfants que des contrats. »
Notre dossier sur les enlèvements
Et pourtant, ni l’un ni l’autre ne renoncent. Antoine, qui est retourné vivre chez ses parents pour économiser, a fondé une association, Stop Enlèvement Parental, et cherche des relais politiques. Guillaume quant à lui s’endette et multiplie les voyages. « Je veux juste revoir mon fils », insiste-t-il. Derrière leur combat personnel, une question plus large se dessine : comment garantir les droits fondamentaux des enfants et des parents, dans un monde où les familles ne s’arrêtent plus aux frontières ? « Je veux croire que la justice existe encore », confie Antoine. Et Guillaume de conclure : « J’ai peur de m’habituer à son absence. »