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« J’ai vendu  »Carpe Diem » à TF1 en improvisant », révèle Samuel Le Bihan

«Carpe Diem ». Profiter du moment présent. L’expression latine est le mot d’ordre de Tom Villeneuve et le titre de la série dont il est le héros. Dans le premier épisode, diffusé ce lundi à 21h10 sur TF1, on découvre cet avocat… le jour de sa sortie de prison où il a appris les rudiments du droit. Il vient de purger une peine de dix-sept ans de prison pour le meurtre de sa femme, qu’il n’a pas commis, et est bien décidé à prouver son innocence. Sur le papier, cela a l’air bien dramatique, mais, à l’écran, la tonalité est plus légère et enlevée. Samuel Le Bihan incarne un Tom Villeneuve flegmatique et malicieux qui devrait aisément taper dans l’œil du public. 20 Minutes a rencontré l’acteur.

C’est vous qui avez eu l’idée de « Carpe Diem ». Qu’est-ce qui vous l’a inspirée ?

C’est une histoire assez rigolote. J’avais rendez-vous avec TF1, et je voulais leur vendre une série avec une intrigue beaucoup plus triste et même très dark. Ils m’ont regardé en disant : « Non, mais on ne peut pas faire ça. On va faire fuir tout le monde. » Sur le moment, je me suis dit que j’étais en train de cramer ma chance, que j’allais repartir bredouille, ce n’était pas concevable pour moi. Alors je suis parti dans une improvisation au sujet d’un avocat que j’avais rencontré entre deux confinements. Il était spécialiste du grand banditisme, défendait des voyous, il était quelqu’un d’extrêmement drôle, radieux, très vivant, et il m’a raconté qu’il avait fait les 24 heures du Mans comme pilote ! Je me souviens d’une phrase en particulier : « Tu sais, mon métier, la justice, c’est comme la Vierge. De temps en temps, il faut qu’elle fasse une apparition. »

Et ça vous a donné une idée de personnage…

Oui, c’était un personnage comme ça, à la croisée des chemins. Donc chez TF1, je me suis souvenu de cette rencontre, et je me suis lancé en impro : « Voilà, c’est l’histoire d’un avocat atypique. Il n’a pas de maison et il va aussi bien se débrouiller pour dormir dans un palace que le lendemain dans sa voiture. » Et tout s’est construit à partir de ça.

L’idée que le héros de votre série sorte de prison est venue plus tard ?

Pour l’écriture du scénario, j’ai appelé mes complices Julien Guérif et Pierre Isoard avec lesquels j’ai fait pas mal de choses. Ils ont rebondi avec plein d’idées magnifiques. C’est devenu très jouissif, très drôle. Et le héros est devenu ce personnage atypique à qui on a volé dix-sept ans de sa vie.

Dans ce personnage et dans votre jeu, on pense aux rôles flegmatiques de Belmondo flegmatique, à Brett Sainclair et Danny Wilde de la série « Amicalement vôtre »…

J’ai été influencé par ces acteurs des années 1970. J’adore Vittorio Gassman, Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle, Jean-Paul Belmondo… C’était l’époque de l’acteur flamboyant. L’idée était donc de revenir à ça, au pur plaisir du jeu d’acteur, avec beaucoup de ruptures, un texte au cordeau, des scènes millimétrées comme chez Feydeau. La mécanique de jeu se trouvait dans la comédie tout en donnant du fond au personnage qui a des enquêtes à résoudre.

Même si ce n’était pas ce que vous étiez venu vendre à TF1, vous avez trouvé un épanouissement dans ce projet ?

Complètement, parce qu’il y a du fond. Et la forme est très dense. En fait, c’est un plaisir gourmand pour un acteur. Ça demande beaucoup de travail, parce qu’il faut que le texte soit délivré de façon impeccable. Ça exige aussi des ressources physiques, car il y a pas mal de cascades. Il me fallait donc de la rigueur et de la discipline. Après chaque journée de tournage, je passais une heure à travailler le texte du lendemain, et j’enchaînais par une heure de sport. C’était donc de très grosses journées, mais j’ai retrouvé le plaisir du jeu, les raisons pour lesquelles je fais ce métier et qui font qu’il me rend heureux.

Est-ce qu’aujourd’hui vendre ses propres projets aux chaînes est le meilleur moyen de trouver des rôles intéressants ?

Disons que le succès d’Alex Hugo [le personnage récurrent qu’il incarne dans la série du même nom sur France 3] me permet de bénéficier d’une exposition m’offrant le luxe de proposer des choses qui me plaisent profondément. Donc, j’ai pu travailler sur des thèmes qui me touchent, comme l’autisme. J’ai pu incarner le navigateur Yves Parlier dans Seul. Là aussi, il y avait un défi complètement dingue en matière de tournage. J’ai une exigence de qualité, je veux aborder des rôles complexes, qui demandent de s’investir, et qui sont en même temps fédérateurs, populaires, parce que c’est ce que je suis profondément. J’ai envie de parler de moi à travers tous ces rôles.

Qu’est-ce que vous aimeriez montrer de vous que le public n’aurait pas encore vu ?

De moi ? Aujourd’hui ? Je ne sais pas, justement. C’est la paternité qui m’intéresse aujourd’hui. C’est un sujet plein de complexité, qui pose la question de la responsabilité. Qu’est-ce qu’être un bon père ? Comment on transmet ? Je trouve cet exercice fragile.

Existe-t-il un malentendu vous concernant et que vous aimeriez dissiper ?

Je sais qu’à une période on m’a imaginé beaucoup plus superficiel que je ne le suis. Mais on est responsable de son image. J’ai peut-être mal communiqué, mal transmis ce que j’étais profondément. Je m’en rends compte : j’ai une maladresse à expliquer ce que j’aime, ce qui me plaît, mes centres d’intérêt profonds. Dans la vie, souvent, j’ai l’impression d’être maladroit, de ne pas être adapté à la situation. Et je ne pense pas être le seul. Je crois qu’on est beaucoup dans ce cas-là. On fait de notre mieux. Et c’est comme ça. Je n’ai pas forcément su bien me raconter quand il le fallait, mais ce n’est pas très grave parce que j’ai beaucoup appris.

Et il n’est pas trop tard…

Non, il n’est pas trop tard. L’aventure continue. J’arrive à 60 ans. Je suis dans une nouvelle phase de la vie où je sens mon corps, par exemple, qui est moins physique. Il faut donc appréhender la vie, le bonheur, les activités, différemment et ce sont de nouvelles expériences qui s’offrent à moi.

Est-ce qu’il y a un rôle qui vous fait rêver ?

Je pense au théâtre. Il y a des grands rôles du classique qui peuvent être intéressants à aborder. Il y a peut-être un challenge de ce côté-là, auquel je suis en train de réfléchir. Je ne vous donne pas de réponse précise, mais chez Shakespeare ou même dans le répertoire français, il y a peut-être deux ou trois personnages que je pourrais avoir envie d’affronter par défi et par expérience d’acteur. J’arrive à une maturité où je peux être armé et avoir des choses à raconter sur certains personnages.

Et parmi les personnages que vous avez incarnés, est-ce qu’il y en a un en particulier qui a changé votre parcours ?

Au début, il y a eu, par exemple, Norbert dans Capitaine Conan [en 1996]. Outre ce personnage, il y avait l’exigence du réalisateur, Bertrand Tavernier, un grand cinéphile. Bertrand Tavernier, Alain Corneau, Tonie Marshall… ont été des rencontres fortes.

Et du côté des jeunes réalisateurs et réalisatrices, qui vous intéresse ?

J’ai été très impressionné par la réalisation de L’histoire de Souleymane de Boris Lojkine. Le film a eu plein de nominations aux César et je suis vraiment ravi [l’interview a eu lieu plusieurs semaines avant la cérémonie qui a vu le long métrage remporter quatre trophées]. La réalisation est très atypique, avec beaucoup de caméra à l’épaule et, en même temps, la mise en scène est très calculée, organisée, dessinée. Cela demandait un vrai travail de mise en scène de capter un moment tel un reportage ou un documentaire.

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Un autre film aimé récemment ?

Il y a des films très simples, très populaires, comme En Fanfare, qui sont extrêmement bien écrits et très bien joués et qui réunissent à la fois la dimension populaire et le propos intelligent. C’est un peu le projet de Carpe Diem : être dans quelque chose dont le grand public peut s’emparer et qui repose sur un vrai travail d’écriture dans les personnages. On essaye de mettre du fond et de ne pas être juste sur la gaudriole et la comédie. On aborde des thèmes tels que la liberté, la revanche sur la vie… Qu’est-ce qu’il vous reste quand on vous a tout pris ? Le choix du bonheur, du sourire. Parce que ça demande un effort. C’est toujours plus facile d’être en colère et de mauvaise humeur.