« J’ai peur qu’il vienne finir le travail »… Rescapée d’un féminicide, Rachel craint la libération anticipée de son ex
Bien sûr, il y a les séquelles physiques. La balle qui a transpercé le poumon de Rachel, cette nuit du 6 avril 2013, lui laisse encore le souffle court et des douleurs dans la poitrine. Les deux autres ogives venues se loger dans sa cuisse et son mollet la font désormais boiter. Il y a également les douleurs neurologiques car un nerf a été sectionné par l’une des balles. « Mais le pire, c’est vraiment le stress post-traumatique. Chaque jour, j’ai peur qu’il vienne finir le travail », confie la quadragénaire alsacienne. « Il », c’est son ancien compagnon, Fabrice Autrand, condamné en 2017 à vingt-sept ans de réclusion criminelle pour avoir commandité son assassinat.
Ces derniers mois, cette crainte a pris de l’ampleur : après seulement onze années de détention, cet ancien ingénieur de 53 ans a déposé une demande de remise en liberté, faisant notamment valoir l’absence d’incident depuis son incarcération et une promesse d’embauche. Celle-ci sera examinée le 13 janvier prochain par le tribunal d’application des peines de la cour d’appel d’Agen, dans le Lot-et-Garonne. Théoriquement pourtant, la période de sûreté – c’est-à-dire le laps de temps pendant lequel le condamné ne peut pas demander sa remise en liberté – est égale à la moitié de la peine, voire plus si la cour en fait la demande. Ainsi, Fabrice Autrand n’aurait pas dû être libérable avant la fin de l’année 2026.
« Comment on se reconstruit ? »
« On a appris au cours de cette procédure de remise en liberté qu’il avait obtenu un relèvement total de sa période de sûreté. Une réduction partielle, cela arrive, mais totale, c’est rarissime », insiste l’avocate de Rachel, Me Iris Christol, qui se dit « abasourdie » par une telle décision. Une personne définitivement condamnée peut demander une réduction totale ou partielle de la période de sûreté si elle présente de « sérieux gages de réhabilitation ». Ce fut le cas de Fabrice Autrand. Le 14 février 2022, soit cinq ans à peine après sa condamnation par la cour d’assises du Gard, la chambre d’application des peines a « relevé » – c’est-à-dire supprimé – sa période de sûreté, a appris 20 Minutes de source judiciaire. Contactée, son avocate n’a pas souhaité s’exprimer.
« Comment on se reconstruit en sachant que l’homme qui a tout fait pour vous faire tuer pourrait bientôt sortir ? », interroge Rachel. Pour certains, les souvenirs traumatisants sont relayés aux confins de la mémoire. La quadragénaire, elle, revit cette nuit du 6 avril 2013 en boucle. Le réveil en sursaut par un homme, tout de noir vêtu, qui fait irruption dans la chambre conjugale. Le canon tendu dans sa direction. La première balle qui l’atteint à la poitrine. « J’ai cherché du regard Fabrice Autrand mais il faisait semblant de dormir », se remémore-t-elle. Désormais, elle accole systématiquement son nom de famille à son prénom, comme pour mettre de la distance avec son ex-compagnon. Lui se « réveille » au troisième coup de feu. A aucun moment, le tireur ne le vise. « Prenez l’argent, les bijoux mais on a un bébé », supplie-t-elle. Leur fils de dix mois dort dans la chambre d’à côté. Ce ne sont pas ses suppliques qui feront fuir le tueur mais l’arme qui s’est enrayée. Transportée en urgence à l’hôpital, Rachel s’en sort presque miraculeusement.
« Je me suis demandé : « à qui profite le crime ? » »
L’hypothèse d’un cambriolage qui tourne mal est évoquée. Elle n’y croit pas une seconde : elle sait qu’elle était visée. Mais par qui ? Elle ne se connaît aucun ennemi. A part peut-être sa belle-mère, avec laquelle elle entretient des relations exécrables, plus encore depuis que le couple a annoncé son intention de se marier. « Quand je me suis demandé « à qui profite le crime ? », j’ai tout de suite pensé à elle. Mais on ne tue pas parce qu’on ne s’entend pas avec sa belle-fille. »
La piste du grand banditisme est également envisagée : Fabrice Autrand est directeur d’une usine de déchets et a longtemps été gérant d’une discothèque. L’enquête piétine. Rachel se barricade dans sa maison, dépense des milliers d’euros en caméras de surveillance, générateur de fumée et autres détecteurs de mouvement. Elle fait également installer des tessons de bouteilles au-dessus du muret qui entoure le jardin.
Son compagnon la soutient et l’épaule, s’occupe de leur fils, heureusement indemne. Ensemble, ils reprogramment une date de mariage. Huit mois plus tard, lorsque Fabrice Autrand est interpellé, Rachel ne peut y croire. Pour elle, il ne peut s’agir que d’une erreur judiciaire, elle se démène pour lui trouver un avocat. Sans s’imaginer qu’il avouera au cours de sa garde à vue avoir planifié son meurtre.
Lors de ses auditions, puis au cours du procès, il explique avoir pris cette décision au moment de Noël car il se sentait pris au piège du conflit qui opposait sa compagne à sa mère. « S’il vivait si mal les tensions, il suffisait qu’il me quitte. Vous imaginez ? On organisait notre mariage et dans mon dos, lui planifiait mon meurtre. » Au procès, son compagnon reconnaît avoir envisagé avec son homme de main plusieurs scénarios : maquiller le meurtre en accident de la route, feindre un suicide en la pendant dans l’escalier…
« J’y vois un message d’impunité »
« Il a réussi à blouser tout le monde pendant huit mois, en passant pour le mari éploré, pourquoi n’en serait-il pas à nouveau capable ? », interroge Rachel. Elle a beau avoir quitté le sud de la France pour retourner en Alsace, d’où elle est originaire, elle est persuadée que les kilomètres ne la mettent pas à l’abri. Elle en donne pour preuve le recours de son ex-compagnon, l’an dernier, devant le juge aux affaires familiales pour récupérer ses droits parentaux sur son fils, désormais adolescent. Il a finalement été débouté, mais son avocate ne peut s’empêcher d’y voir une volonté de « détricoter » le verdict et ce, alors qu’il n’avait pas fait appel.
Par ailleurs, Me Iris Christol a appris fortuitement que le tireur, condamné à dix-sept ans de réclusion criminelle, avait été libéré l’an dernier. Le tribunal ne les a pas averties. Rachel et son avocate ont également découvert, au détour de la procédure de libération anticipée, que Fabrice Autrand avait déjà bénéficié de permissions de sortie. Elles n’en avaient été averties. « Bien sûr que j’y vois un message d’impunité. Cela veut dire qu’on peut faire tuer sa femme et reprendre une vie presque normale dix ans plus tard », s’insurge Rachel, qui ne cache pas une certaine amertume vis-à-vis de la justice. Désormais, son horizon est suspendu au 13 janvier.