Italie : Le secret de Giorgia Meloni après trois ans ? « N’avoir rien fait »
Le 22 octobre, Giorgia Meloni célèbre ses trois ans à la tête du gouvernement italien, une longévité rare dans un pays habitué aux crises politiques à répétition. Depuis 2011, il n’y a pas eu de remise en cause des réformes impopulaires, notamment celles des retraites, et le déficit public devrait repasser sous la barre des 3 %.

Ce 22 octobre, Giorgia Meloni célèbre trois ans à la tête du gouvernement italien, une longévité inhabituelle dans un pays souvent en proie à des crises politiques. Aucun président du Conseil n’avait fait preuve de pareille longévité depuis Silvio Berlusconi. Pour de nombreux experts, c’est précisément son aptitude à éviter les grands bouleversements qui lui a permis de rester à ce poste.
« On a assisté à un revirement spectaculaire depuis son accession au pouvoir. Elle a eu l’intelligence de faire exactement le contraire de ce qu’elle avait promis lors de sa campagne », résume Paolo Levi, journaliste à Paris pour La Stampa et l’Ansa.
Auparavant farouche eurosceptique, la dirigeante d’extrême droite est devenue une partenaire de Bruxelles, soutenant l’Ukraine et s’alignant sur l’Otan. Celle que ses opposants craignaient comme un héritière du néofascisme a étonné par son « pragmatisme » et son « humilité ». « C’est presque Mario Draghi avec une perruque blonde », ironise un journaliste italien.
Giorgia Meloni récolte les fruits des mesures passées
Giorgia Meloni a donc compris que l’Italie avait besoin de continuité. « Alors qu’elle avait voté contre sous Draghi, elle a immédiatement reconnu, en prenant ses fonctions, que les 200 milliards du plan de relance européen seraient absolument indispensables », indique Francesco Saraceno, directeur adjoint du département d’études de l’OFCE. Jean-Pierre Darnis, professeur à l’Université Côte d’Azur et à Rome, partage cette analyse : « Il n’y a pas de rupture avec le gouvernement précédent. Le succès de la dirigeante réside dans sa capacité à gérer les équilibres. »
Elle n’a remis en cause aucune des réformes impopulaires réalisées depuis 2011, notamment celles concernant les retraites. Elle a poursuivi le travail engagé tout en étant la première bénéficiaire du plan de relance de l’UE. Les résultats ? La Bourse italienne a doublé de valeur, le chômage a chuté de 7,8 % à 6 %, et le déficit public devrait repasser en dessous de 3 %. « Mais ce n’est pas grâce à elle, nuance Paolo Levi. Elle récolte les fruits de dix ans d’efforts douloureux, des mesures des gouvernements précédents. Elle n’a quasiment rien fait. »
Une politique sans secousse, sans projet futur
Durant ces trois dernières années, Giorgia Meloni a été synonyme de « prudence, d’équilibre et de modestie », souligne Francesco Saraceno. « En validant de facto toutes les décisions du gouvernement Draghi et en abandonnant les ruptures promises durant sa campagne, elle a offert une politique très plate, sans secousse. »
Cependant, ce choix de « survie » ne peut fonctionner qu’à « court terme ». L’économiste reproche alors au gouvernement Meloni de ne pas avoir de direction claire concernant les investissements publics et privés, la transition écologique ou l’innovation. « Elle a éliminé certaines mesures controversées comme le revenu de citoyenneté et le »super bonus » pour la rénovation des immeubles. Aujourd’hui, la note de l’Italie est relevée par les agences de notation. Mais nous allons payer très cher le prix de cette réussite. Une fois l’impulsion du fonds européen terminée, aucun projet de pays ne se dégage de ce gouvernement », conclut-il.
Pour lui, la présidente du Conseil ne résout « aucun des problèmes italiens » tels que la faible croissance, le manque d’investissement et les questions démographiques. « Je ne m’attendais pas à ce qu’elle ait résolu, en trois ans, des problèmes que l’on traîne depuis trois décennies, mais son gouvernement ne commence même pas à proposer des solutions. On ne sait pas où il veut aller », affirme-t-il.
L’échec de « la solution albanaise »
Jean-Pierre Darnis constate la même tendance. Il évalue que la dirigeante a mené « assez peu d’activité législative ». « Il y a eu quelques petits dossiers problématiques, comme ceux concernant la GPA. Mais au niveau des projets idéologiques, elle ne va pas très loin après tout », explique-t-il.
Le seul coup d’éclat de Giorgia Meloni, son projet d’externalisation du droit d’asile des immigrés en Albanie, a été un échec. « C’est son plus gros échec, analyse Beniamino Morante, journaliste à Courrier International. Ils ont construit des centres et cela a coûté très cher, mais personne n’y a jamais été transféré. Le plan a été rejeté par la justice européenne. C’était un peu amateur, elle n’avait même pas vérifié si c’était juridiquement possible. »
Même sur l’immigration – sa marque de fabrique – Giorgia Meloni a fini par accepter d’accueillir 500.000 travailleurs étrangers pour faire face à la crise démographique et à la pénurie de main-d’œuvre. « Alors qu’elle voulait à un moment construire des murs tout autour de la péninsule », souligne le journaliste italien.
La stabilité comme succès politique
Cette stratégie semble séduire. Trois ans après son élection, Fratelli d’Italia est à près de 30 % des intentions de vote. « Les attentes étaient si basses que Giorgia Meloni tire simplement profit du fait qu’aucune catastrophe ne s’est produite », sourit Beniamino Morante. Elle rassure Bruxelles, les marchés financiers et l’opinion publique. « Je ne dirai pas qu’elle est aimée, mais elle est acceptée. Elle communique simplement, ce qui crée une sorte de proximité avec la population. Pour maintenir cette popularité, elle fait le moins possible sur le plan politique, et cela fonctionne. »
Pour Paolo Levi, cela représente également une forme de réussite. « À la différence de la Hongrie avec Orban, l’Italie n’a pas subi de dégradation de son État de droit, observe-t-il. En trois ans, Giorgia Meloni a évolué jusqu’à se repositionner comme une démocrate chrétienne, conservant très peu de son héritage d’extrême droite. Elle a prouvé qu’elle était pragmatique avant d’être une néofasciste. »
Assez pour être reconduite en 2027 ? « Il y a de très grandes chances », estiment les spécialistes, notamment parce que la gauche est « encore en recomposition ». « Sa réussite réside également dans sa capacité à renouveler la figure de la droite qui était dominée par Berlusconi, analyse Jean-Pierre Darnis. Après sa mort, elle a récupéré cette capacité d’incarner une identité et s’est davantage centrée, elle qui était auparavant tout à droite de l’échiquier politique.
Combien de temps va-t-elle encore pouvoir rester sur cette lancée ? « À un moment, il va falloir commencer à faire des vagues », prévient Francesco Saraceno.

