Italie – France : Etre renvoyé de Marcoussis en semaine comme Penaud et Jalibert, humiliation ou source de motivation ?
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En début de saison, lorsqu’ils ont regardé le calendrier du Top 14, les supporteurs clermontois ont dû exulter. Se farcir le Stade Toulousain et l’Union Bordeaux-Bègles en plein Tournoi des VI Nations, ô joie du rugby, c’était l’assurance d’affronter deux équipes rognées de leurs internationaux. Mais, une semaine après en avoir pris 35 à domicile face à l’équipe B des champions de France, voilà que l’ASM affronte ce dimanche des Girondins renforcés par la présence de tous ses internationaux ou presque.
Car, pour le match du XV de France en Italie ce dimanche (16 heures), Fabien Galthié a décidé de se passer de Maxime Lamothe, Marko Gazzotti, Sipili Falatea, Nicolas Depoortère, Matthieu Jalibert et Damian Penaud. Si les quatre premiers ont l’habitude de retourner en Gironde en milieu de semaine, les deux derniers cités (même si le demi d’ouverture en a déjà fait l’expérience à l’automne) n’étaient pas des habitués du OuiGo de 19h54 à la gare Montparnasse.
Matthieu Jalibert et Damian Penaud ont été dégommés pour leur défense assez friable face à l’Angleterre. Et Fabien Galthié a donc décidé de ne pas les titulariser face aux Italiens, ni même de s’en servir comme supersubs. « Connaissant Damian, ce qu’il veut, ce qu’il aime, c’est jouer au rugby, explique Rémy Grosso, ex-international français qui a joué avec Penaud à Clermont. Entre l’option de rester à Marcoussis réserviste et jouer au rugby avec son club, je pense qu’il a très vite choisi, s’il a eu l’opportunité. Parce qu’on parle du fait qu’il ait été mis de côté. Moi, je ne serais pas surpris que ce soit lui qui ait demandé à pouvoir jouer avec son club. »
« Entre rester réserviste et jouer avec son club… »
L’ancien ailier, passé aussi par Castres et Lyon, évoque « un message du staff pour faire comprendre que personne n’est indispensable ». Ce qu’a développé Fabien Galthié en conférence de presse vendredi : « Dans cette équipe il y a la volonté de développer l’émulation, la concurrence, la compétition à tous les postes. Dans le choix qu’on a fait sur Damian, d’abord, il faut peut-être évoquer la confiance que nous avons en lui, la totale confiance. »
Il n’en reste pas moins que, pour Penaud, qui n’est qu’à un essai du record de Serge Blanco en équipe de France, le coup a dû être dur à encaisser, d’autant qu’il revenait à peine en sélection après avoir manqué toute la tournée automnale et l’inauguration du Tournoi face au pays de Galles sur blessure. Tous les sentiments ont dû traverser la tête de l’ancien Clermontois, entre incompréhension, colère, et peut-être même humiliation.
« Ca fait mal à l’ego, c’est sûr, mais après c’est du sport de haut niveau. Il y a un tel niveau de concurrence, de charge physique et mentale que c’est compliqué d’avoir un statut d’intouchable, d’irremplaçable, même en équipe de France. Je ne pense pas que les joueurs sombrent à cause de ça, ils sont rôdés quand même. Le plus dur ce n’est pas forcément d’être renvoyé, c’est de savoir exactement pourquoi on est renvoyé.
»
« Un petit coup de pied au cul »
Comme pour une rupture amoureuse, on privilégiera donc la discussion franche et en personne que la vieille décla préparée par ChatGPT et envoyée par SMS, histoire de ne pas enfoncer la personne larguée, déjà bien au fond du trou. « Avec Damian, j’ai passé deux heures avec lui, mardi en fin de journée à échanger, à l’écouter, à partager, a développé Fabien Galthié. Il faut absolument qu’on soit en phase même si je conçois que c’est jamais évident pour un compétiteur, pour un champion, d’accepter, de digérer la décision. »
« Si c’est bien expliqué au joueur et qu’il n’y a pas un sentiment d’humiliation, de colère, ça peut être positif », reprend le psychologue. Une punition, pour mieux rebondir, en quelque sorte. Une explication plausible pour Damian Penaud, qui pourrait retrouver sa place de titulaire face à l’Irlande dans quinze jours, moins pour Matthieu Jalibert. Car dans l’esprit de Fabien Galthié, le demi d’ouverture de 26 ans a dégringolé dans la hiérarchie des n°10, derrière Romain Ntamack, Thomas Ramos, Antoine Dupont, Titou Lamaison et Zinédine Zidane.
« Damian, c’est un grand garçon et peut-être que c’est un petit coup de pied au cul qui va lui permettre de revenir encore plus en patron, estime Rémy Grosso. Par moments, retourner en club, pour l’avoir vécu, ça peut faire du bien, on peut décharger un peu la pression, prendre du plaisir avec son club et revenir un peu plus frais, avec un peu plus d’enthousiasme. »
Alldritt, le modèle à suivre
Un peu comme Grégory Alldritt. Le Rochelais avait été écarté lors de la tournée automnale après des prestations compliquées, et cantonné à être dans les tribunes face à l’Argentine. « On discute avec tous les joueurs, on leur fait part des tendances, des formes du moment, de notre volonté de créer l’émulation, mais aussi de la récupération pour d’autres. Il n’y a pas de polémique, assurait alors Fabien Galthié C’est un capitaine, un leader et un joueur exemplaire que l’ensemble des joueurs veulent suivre. »
Revenu à son meilleur niveau en club, le n°8 casqué a retrouvé Marcoussis en conquérant et a été étincelant face au pays de Galles, en ouverture du Tournoi. Alors, oui, ce n’était que le pays de Galles, mais le troisième ligne avait été impressionnant dans les rucks, a mis son équipe sans cesse dans l’avancée et avait même inscrit un essai en fin de match. Penaud et Jalibert pourraient aussi demander conseil à leur coéquipier en club Maxime Lucu, passé de réserviste lors des deux premiers matchs du Tournoi à seul trois-quart sur le banc face à l’Italie.
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Nul doute que son implication à l’entraînement, alors même que son sort était scellé, a marqué le staff français. Le demi de mêlée, avant d’affronter les Gallois, motivait les troupes comme jamais, comme s’il allait commencer la rencontre. « Il faut aussi rester concentré sur les Bleus car il y a des moments où tu dois montrer que l’implication est là et que tu peux gagner ta place, expliquait-il dans Sud Ouest. Ça a été difficile pour moi sur mes débuts en sélection mais maintenant, avec l’expérience, ça va. Si tu n’es pas préparé, tu peux vite foncer dans un mur et subir cette longue période. »
Il reste donc à Matthieu Jalibert et Damian Penaud de faire feu de tout bois en club et à l’entraînement pour retrouver le charme de Marcoussis en vue de préparer le choc face à l’Irlande. Même s’il n’y a peut-être pas beaucoup d’espoir. « S’ils ont été écartés « seulement » à cause de la performance, c’est dur, mais c’est le sport de haut niveau, conclut Hugh Chalmers, ancien troisième ligne de l’UBB, qui a évolué avec Matthieu Jalibert. Mais si la France peut se permettre de faire ça, ça montre la bonne santé du rugby français en ce moment. Je ne pense pas qu’il y ait d’autres équipes qui disent non à ces deux joueurs-là. » Clermont aurait bien aimé ne pas les voir en face ce week-end, en tout cas.