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Israël : Jordan Bardella invité par le gouvernement à Jérusalem, est-ce vraiment une surprise ?

En Israël, un grand raout controversé. Jordan Bardella et Marion Maréchal participeront ces mercredi et jeudi à une conférence sur la lutte contre l’antisémitisme à Jérusalem. Le président du Rassemblement national et l’eurodéputée Identité Libertés ont été personnellement invités par le ministre israélien de la Diaspora, Amichai Chikli, membre du Likoud, le parti de droite du Premier ministre, Benyamin Netanyahou. Une invitation qui marque une rupture historique pour l’État hébreu à l’égard du parti fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen, des ex-nazis et autres antisémites notoires. Mais aussi une nouvelle étape importante dans la stratégie de dédiabolisation portée par Marine Le Pen.

Nouvelle étape de la dédiabolisation

Le Rassemblement national « n’est plus le Front national », a martelé lundi matin Jordan Bardella au micro de BFMTV. L’eurodéputé a rappelé que la rupture entre Marine Le Pen et son père Jean-Marie s’était d’ailleurs produite « en très grande partie en raison de la question de l’antisémitisme ». Face aux incessantes provocations du « Menhir », Louis Aliot assurait d’ailleurs, dès 2013, que la normalisation du mouvement passait par cette étape : « C’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. À partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique, vous libérez le reste », théorisait celui qui est aujourd’hui maire de Perpignan et vice-président du parti.

Ces dernières années, le RN n’a donc eu de cesse de se présenter comme un « bouclier » pour défendre les « Français de confession juive ». Marine Le Pen a acté cette rupture en rendant hommage aux déportés juifs de la rafle du Vel d’Hiv en 2020, ou bien encore en se recueillant l’année suivante devant le monument aux morts des héros du ghetto de Varsovie. Le RN, qui avait participé à la grande marche contre l’antisémitisme organisée à Paris un mois après l’attaque du 7 octobre 2023, n’avait jusqu’ici jamais été invité officiellement par des responsables israéliens.

« Cette invitation est incontestablement une victoire politique et symbolique pour le RN, remarque Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite. La perspective de voir Bardella tenir un discours sur l’islamisme et l’antisémitisme en Israël, et de rencontrer des populations sur place, marque une étape importante dans la stratégie du parti de s’écarter des propos de Jean-Marie Le Pen », ajoute le co-directeur de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean Jaurès.

Un tournant aussi pour Israël

Mais cette invitation marque également un tournant pour le gouvernement de Benyamin Netanyahou, visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale et à la recherche de nouveaux soutiens en Europe. Outre Jordan Bardella et Marion Maréchal, plusieurs représentants de partis d’extrême droite ou identitaires sont conviés, comme les Hongrois du Fidesz (le mouvement de Viktor Orban), les Espagnols de Vox ou les Démocrates de Suède. Des formations politiques qui sont parfois épinglées pour compter dans leurs rangs des néo-nazis ou des révisionnistes. « Depuis le 7-Octobre, il y a des signaux assez clairs d’un changement de paradigme au sein du Likoud, en tout cas son aile droite, relate Jean-Yves Camus. Amichai Chikli et une partie de la droite israélienne préfèrent nouer des alliances avec ces partis  »patriotes » plutôt que la droite conservatrice traditionnelle, qu’ils jugent trop molle pour lutter contre la perte d’identité européenne, contre l’islamisme voire l’islam et le wokisme », ajoute le chercheur.

Mais cette nouvelle donne n’a pas manqué de susciter des critiques. Le président israélien, Isaac Herzog, a ainsi pris ses distances, et plusieurs invités ont préféré boycotter l’événement, comme le Français Bernard-Henri Levy, le grand rabbin du Royaume-Uni Ephraim Mirvis, ou encore l’Américain Jonathan Greenblatt, directeur général de l’ONG Anti-Defamation League. Ce lundi, le président du Crif, Yonathan Arfi, a également dénoncé « l’instrumentalisation » de la lutte contre l’antisémitisme par le parti de Marine Le Pen dans sa volonté de conquérir le pouvoir. Le 7 janvier dernier, en dépit de la normalisation affichée par le parti, de nombreux cadres du RN avaient adressé des hommages sans réserve à la mort de Jean-Marie Le Pen.