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Investiture de Donald Trump : Que reste-t-il à forer aux Etats-Unis ?

«Drill, Baby Drill ». Dans la rafale de décrets signés le 20  janvier, Donald Trump a déclaré « l’urgence énergétique nationale », en promettant de « libérer l’énergie américaine », d’accroître la production de pétrole et de gaz pour « remplir les réserves stratégiques » et de faire baisser les prix de l’énergie. Il a aussi annoncé sortir à nouveau de l’accord de Paris sur le climat.

Prenant le contrepied de la transition décarbonée promue par l’administration Biden, le 47e président des Etats-Unis veut booster l’exploitation des ressources fossiles. Et ceci à rebours du consensus scientifique sur le réchauffement climatique, qui a démontré le lien entre la combustion des énergies fossiles par les activités humaines, l’augmentation des émissions de CO2 et le réchauffement de la planète. Pour rappel, 2024 a été la première année où le cap des 1,5 °C de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle a été franchi, limite à ne pas dépasser fixée dans l’accord de Paris.

Un record de production pétrolière en 2024

« C’est démagogique et franchement ridicule de déclarer l’urgence énergétique, relève Jenny Rowland-Shea, directrice des terres publiques du Center for American Progress, un think tank progressiste basé à Washington D.C. Les zones qui ont encore une quantité suffisante de pétrole aux Etats-Unis en produisent déjà beaucoup. » En effet, en 2024, la production américaine a déjà atteint un niveau record, en hausse depuis des années, et qui dépasse quasiment tous les mois les 13 millions de barils par jour, soit plus que la production de l’Arabie saoudite ou la Russie.

Si Trump n’a pas la main sur les terres privées, il peut tout de même faire une différence en permettant la location de davantage des terres ou des eaux publiques fédérales, représentant plus de 3 millions de km2. « Cela concerne nos parcs nationaux, nos refuges pour les poissons et la faune, ainsi que des terres pour les jeunes gérées par le Bureau of Land Management, détaille Jenny Rowland-Shea. Et ces terres sont utilisées à des fins de conservation, de loisirs et de développement énergétique. »

Les décrets « font pencher la balance vers le pétrole et le gaz »

La mission du Bureau of Land Management est d’équilibrer tous ces usages. Mais les décrets de Trump viennent modifier cela. « Ils font pencher très fortement la balance vers le pétrole et le gaz », dénonce-t-elle. La plupart des terres fédérales qui pourraient être mises en location et où il reste du pétrole et du gaz se situent dans l’ouest des Etats-Unis, dans les Etats du Nouveau Mexique, du Wyoming, du Colorado, du Montana, du Nevada et de l’Utah, liste-t-elle.

Cependant, l’administration Biden a, au cours de son mandat, permis la conservation de 2,7 millions de km2 de terres et eaux fédérales, les protégeant des forages pétro-gaziers. « Pour défaire cela, il faut un acte du Congrès [le Sénat et la Chambre des représentants, aux mains des républicains], ce n’est pas possible de le faire avec un décret, souligne Frances Colón, directrice des politiques climatiques internationales au Center for American Progress. Il faudrait que l’administration Trump ait les votes et le soutien des Etats concernés. En Floride, par exemple, les habitants ne veulent pas de forage pétrolier offshore. »

Des projets « dangereux »

Dans un rapport de 2015, le Centre pour la diversité biologique a réalisé une carte de ces terres et eaux publiques (voir ci-dessous). A l’époque, cette ONG de protection de la biodiversité qui veut laisser les énergies fossiles dans le sol estimait que l’exploitation de ces sables bitumineux, champs de pétrole, gaz et charbon, qui n’étaient pas mis en location, pouvaient émettre jusqu’à 450 gigatonnes d’équivalent CO2. Elle appelait le président Obama à tout faire pour les protéger.

Cette carte publiée en 2015 montre les terres et eaux fédérales où se se trouvent encore des sables bitumineux, du pétrole, du gaz et du charbon.
Cette carte publiée en 2015 montre les terres et eaux fédérales où se se trouvent encore des sables bitumineux, du pétrole, du gaz et du charbon. - Capture d’écran/Center for biological diversity

En 2025, l’ONG s’alarme de la politique énergétique de Trump. « Cette mesure inadmissible est totalement en décalage avec la plupart des Américains, dont une écrasante majorité soutient la protection des espèces et la préservation de notre patrimoine naturel », déclare-t-elle dans un communiqué. Elle promet d’utiliser tous les outils juridiques possibles « pour garantir que les projets dangereux liés aux combustibles fossiles ne conduisent pas à l’extinction d’espèces ».

« Cela nous bloque dans un futur basé sur le pétrole et la gaz »

Concrètement, ces forages pourraient-il avoir lieu ? Les baux des terres fédérales sont « peu chers », note Jenny Rowland-Shea, directrice des terres publiques du Center for American Progress. Des compagnies pétro-gazières pourront les louer, mais « il n’est pas certain qu’elles forent dessus tout de suite parce que si le prix de l’énergie est trop bas, ça les intéressera moins », poursuit-elle. Cependant, elle craint que ces mesures « bloquent » pour dix ans ces terres, car c’est la durée d’un bail pour une compagnie pétro-gazière. « Cela nous bloque vraiment dans un futur basé sur le pétrole et la gaz alors que nous devrions transitionner », complète-t-elle.

Notre dossier sur l’investiture de Donald Trump

En 2016, Donald Trump avait fait campagne en promettant de relancer le charbon. Un précédent à avoir en tête pour Kjell Kuhne, chercheur et directeur de la campagne Leave it in the Ground, qui plaide pour mettre fin à l’utilisation des énergies fossiles. « Cela n’a pas fonctionné, car les forces du marché ont joué contre, analyse-t-il. Trump peut faire en sorte de rendre plus facile le déploiement de projets d’énergies fossiles, mais si elles ne sont pas assez compétitives ou si la demande n’est pas là, ce sera inefficace. Il faut rester prudent sur ce qui va réellement se passer. » Ce qui est sûr, c’est que les décrets pris par Trump risquent de freiner le développement des énergies renouvelables aux Etats-Unis, comme avec le moratoire sur le développement de nouveaux parcs éoliens.