France

Installé en Bretagne, Abdi, ancien pirate somalien, représente-t-il toujours « une menace » ?

Il fêtera l’an prochain ses quarante ans. Quatre décennies durant lesquelles Abdi aura eu deux vies et deux pays. La première en Somalie où il est né en 1986 dans un petit village de pêcheurs et où sa vie a basculé en 2009. Cette année-là, Mahmoud Abdi Mohamed, son vrai nom, avait participé avec plusieurs pirates à la prise d’otages du voilier Le Tanit au large de la Somalie début avril, « enrôlé » selon ses dires par un individu dont il était « redevable ». Après plusieurs jours durant lesquels les passagers du bateau avaient été séquestrés à bord, les militaires français avaient donné l’assaut le 10 avril 2019.

Une opération durant laquelle le skipper Florent Lemaçon avait été tué accidentellement par un tir d’un commando de marine. Deux des preneurs d’otages avaient également été abattus et les trois autres faits prisonniers. Transférés en France avant d’être écroués à la prison de Rennes, les trois pirates avaient été condamnés le 18 octobre 2013 à neuf ans de prison chacun par la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine. Après six ans et demi sous les verrous, Abdi avait finalement été libéré pour bonne conduite à l’été 2015 avant de trouver refuge quelques mois plus tard à la communauté d’Emmaüs à Hédé près de Rennes.

Sous le coup d’une OQTF pour menace à l’ordre public

Près de dix ans plus tard, il s’y trouve toujours, « parfaitement intégré », selon Pascale Beauchamps, membre du comité de soutien d’Abdi avec qui elle est devenue « amie ». Car s’il a bien purgé sa peine, le compagnon, membre du conseil d’administration de la communauté, se trouve toujours dans une impasse administrative. Depuis sa sortie de prison, toutes ses demandes de titres de séjour ont ainsi été refusées. Jusqu’en février 2024 quand la préfecture lui a accordé un récépissé avec autorisation de travail. « Il était tout heureux de retrouver enfin une vie normale, il avait été embauché en CDI comme cuisinier dans un restaurant à Rennes et trouvé un studio », raconte Pascale Beauchamps.

Un bonheur de courte durée pour Abdi qui a vite déchanté après « un volte-face de la préfecture » qui lui a refusé en juillet son titre de séjour. Avec en prime une obligation de quitter le territoire français au motif, selon la préfecture, qu’il représentait « une menace à l’ordre public » en raison de son passé de pirate. Menacé d’expulsion, Abdi a plaidé sa cause le 6 novembre en déposant un recours examiné par le tribunal administratif de Rennes. En vain car le 20 novembre, la justice a rejeté sa requête, en faisant toutefois annuler la mention de « menace à l’ordre public » de son casier.

L’ancien pirate soutenu par la veuve du skipper

Le Somalien a depuis fait appel de cette décision. Tout comme la préfecture de Nantes qui souhaite annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes, considérant qu’Abdi représente toujours une menace pour la nation. L’audience se tiendra ce jeudi matin devant la cour administrative d’appel de Nantes et elle s’annonce « décisive », selon Pascale Beauchamp. « Si la préfecture gagne, la menace à l’ordre public sera remise en place et l’obtention d’un titre de séjour sera fortement compromise pour Abdi, indique-t-elle. Alors qu’il se sent bien ici, il a purgé sa peine et s’est depuis toujours bien comporté. Il n’aspire qu’à rester en France où il a bâti sa nouvelle vie avec l’espoir de fonder une famille et d’avoir un travail et un logement ».

Dans son combat, Abdi peut compter sur le soutien de nombreuses personnes. Dont celui de Chloé Lemaçon, la veuve du skipper tué lors de la prise d’otages, qui a gardé contact avec l’ancien pirate depuis le procès et continue de le voir régulièrement depuis sa sortie de prison. S’indignant que la préfecture considère Abdi comme le chef de l’expédition de la prise d’otages, « ce qui est complètement faux », elle craint surtout pour sa vie s’il est renvoyé en Somalie, où il risque de croiser le cerveau qui a financé les armes et le bateau et recruté les pirates. « Cet homme a continué à s’enrichir, lui n’a jamais été inquiété », dénonçait-elle dans une lettre lue le 6 novembre lors de l’audience devant le tribunal administratif de Rennes.