Insémination artisanale : Mais qui sont ces donneurs de sperme clandestins ?

«Je suis sportif, en très bonne santé, brillant et surtout hyper respectueux », « 1m80, brun, les yeux marron, la peau claire, on me dit plutôt bel homme », « cadre financier, fils de médecin, Bac + 5, revenus confortables ». Ces hommes se donnant tant de mal à vanter leurs « qualités » sur Internet ne sont pas là pour trouver l’amour. S’ils cherchent à être choisis, c’est pour donner leur sperme.
Sur des groupes Facebook ou des forums spécialisés, comme donneurnaturel.com, coparentalys et co-parents.fr, des hommes proposent d’offrir leur semence en vue d’insémination « à la maison », en dehors du cadre médical. Alors que l’Agence de la biomédecine manque de donneurs de gamètes face à l’afflux des demandes d’assistance médicale à la procréation (AMP), eux préfèrent se tourner vers le marché parallèle de l’insémination artisanale*.
Qui sont ces hommes proposant la plupart du temps gratuitement leur semence pour aider des couples hétérosexuels, des couples de femmes ou des femmes seules à avoir un enfant ? Et pourquoi ne choisissent-ils pas la voie légale, qui ne présente, elle, aucun risque ? 20 Minutes leur a posé la question.
Julien, qui n’a jamais été en couple et souhaite « laisser une trace »
N’ayant jamais été couple mais souhaitant devenir père, Julien, 25 ans, cherchait au début un coparent pour avoir un enfant. « Les aléas de la vie ont fait que j’ai changé de mentalité et je suis tombé sur ces demandes de dons », explique-t-il. Depuis le mois de juin, le jeune homme a aidé deux femmes à tomber enceintes. « Je n’ai pas encore d’enfant et je n’ai jamais vraiment été en couple, mais j’ai quand même envie d’avoir une descendance, surtout que j’ai une grande peur de la mort et de l’avenir. Faire un don, c’est aussi laisser une trace. »
S’il affirme ne pas vouloir s’imposer au sein de la cellule familiale, il souhaite garder « un minimum de contact avec elles et l’enfant. Que je reçoive des photos de lui de temps en temps. Et si possible que je le vois une à deux fois par an. Et que l’enfant sache qui je suis. C’est tout ce que je demande. »
Christophe, qui a eu un déclic avec « une série à la con »
C’est en regardant « une série à la con sur TF1 », dans laquelle un couple de femmes fait appel à un donneur, que Christophe, 43 ans, a eu le déclic. « Je me suis dit “je peux aider et je ne le fais pas” », raconte ce quadragénaire divorcé, papa d’un préadolescent. Douze heures après avoir publié son annonce sur un forum, il avait déjà reçu une cinquantaine de demandes de receveuses.
« Si j’ai choisi l’insémination artisanale, c’est parce que l’enfant pourra plus facilement me retrouver s’il le souhaite, raconte le donneur, qui a déjà contribué à la naissance d’un petit garçon. Si l’enfant veut que je le reconnaisse plus tard, je le ferai car à mes yeux cela reste mon fils, même si je ne le vois pas. » Christophe estime aussi que le coût de l’AMP pour l’Assurance maladie est important alors que le faire de manière artisanale, « c’est gratuit et ça ne coûte rien à la Sécurité sociale. »
Sébastien, le « serial donneur » qui n’arrive pas à s’arrêter
Lui ne boude pas les dons réalisés dans un cadre médical. Il ne les boude même pas du tout. Il y a une dizaine d’années, Sébastien, célibataire de 38 ans, a offert sa semence à l’hôpital en Belgique. « Mais cela ne pouvait contribuer qu’à dix naissances maximum. Je ne pouvais pas donner davantage. » Le trentenaire a alors franchi la frontière pour remettre son sperme à un centre agréé français. Puis il est passé aux dons clandestins. Belgique, Corse, Île de Réunion, Sébastien a enchaîné. « En tout, j’ai rencontré une centaine de couples ou de femmes seules. Je fais ça lors de mes périodes de célibat et je diminue lorsque je suis en couple. »
Le bientôt quadragénaire a « pensé plusieurs fois à arrêter », estimant « avoir fait (s)a part ». Mais il n’y arrive pas. « Sur les forums, je vois encore beaucoup de couples qui ont du mal à trouver des donneurs sérieux. En voyant leur détresse, j’ai fini par continuer. » Sébastien explique qu’il le fait désormais pour lui. « Je me suis rendu compte après coup que ça me consolait un peu si je venais à ne pas avoir d’enfant. Le fait d’en avoir fait à d’autres et de peut-être les rencontrer un jour me rend un peu moins triste. »
Simon, qui a été inspiré par un couple d’amis
Simon, lui, est novice sur le marché. Un des couples d’amis de ce célibataire de 28 ans n’arrivait pas à avoir d’enfant, malgré les multiples tentatives d’AMP. « Ils étaient totalement déprimés et ont décidé de passer par ce système parallèle. » Banco, dès le deuxième essai, la femme est tombée enceinte. « Quand j’ai vu le bonheur que cela leur a apporté, je me suis dit « pourquoi ne pas donner ? » », explique le jeune homme qui donne déjà régulièrement son sang.
Si dans le cadre d’une AMP, la receveuse ne peut pas choisir son donneur et ce dernier ne peut pas non plus décider à qui ses spermatozoïdes sont destinés, c’est tout le contraire avec l’insémination artisanale. Un détail primordial aux yeux de Simon. « Je veux connaître le cadre et l’environnement dans lequel l’enfant va naître. J’ai d’ailleurs refusé de donner à deux personnes pour cette raison. Avant de les choisir, c’est un peu comme si je projetais le couple sur dix ans. »
Matthieu**, qui veut rester totalement anonyme
Matthieu voulait donner son sperme depuis un moment mais il a attendu de se séparer de la mère de son fils, qui n’approuvait pas l’idée, avant de franchir le cap. La procédure médicale l’a toutefois découragé. « Le centre le plus proche de chez moi était à une heure de route. Il aurait fallu que j’y aille plusieurs fois et que je fasse des rendez-vous avec des médecins, un psychologue et des tests. » Selon lui, le don artisanal est « bien moins contraignant ».
Et ce n’est, à ses yeux, pas son seul avantage. « Si on le fait de manière officielle, ils ont notre identité exacte et l’enfant pourra nous contacter à sa majorité s’il le souhaite », argue ce père de famille dont les cinq dons ont déjà entraîné trois grossesses. « Là, je n’ai fourni quasiment aucune information sur moi aux femmes que j’ai aidées. » Julien était également réticent à l’utilisation faite par l’hôpital de sa semence. « Dans le cadre médical, cela peut donner lieu à dix naissances maximum mais je trouve que c’est beaucoup trop. » Pour ce père de famille, une chose est sûre : il se limitera à cinq grossesses. « Il y en a beaucoup qui veulent faire une équipe de foot, mais ce n’est pas mon cas. »
* Cet article est la troisième et dernière partie de notre enquête sur l’insémination artisanale.
** Le prénom a été modifié.