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Indian Wells : Comment le tennis américain est revenu d’entre les morts

De notre correspondant aux Etats-Unis,

Un trou générationnel comblé en plus de 15 ans : cela donne une idée de ce qui attend le tennis français dans la prochaine décennie. En 2007, la fédération américaine de tennis (USTA) sonnait l’alarme. Après 40 ans de domination mondiale, le vivier était en passe de se tarir plus vite que le fleuve Colorado. L’USTA sortait alors l’artillerie lourde pour refondre le système de formation et rendre le tennis plus accessible, des amateurs jusqu’au plus haut niveau. Un effort digne du Manhattan Project qui porte aujourd’hui ses fruits, avec une dizaine d’Américains dans le top 50 chez les hommes et autant chez les femmes. Ce renouveau s’est confirmé au tournoi d’Indian Wells cette semaine, avec Taylor Fritz, Frances Tiafoe, et Coco Gauff qualifiés pour les quarts de finale, qui se déroulent mercredi et jeudi. En fin de soirée, Tommy Paul s’est, lui, incliné face au jeune Canadien Félix Auger-Aliassime après avoir eu deux balles de match.

« On était en train de sombrer »

Après des décennies fastes, avec Connors, McEnroe, Sampras, Agassi et Courier chez les hommes, et Evert, Navratilova, Seles, Davenport et les sœurs Williams chez les femmes, le trou d’air générationnel à la fin des années 2000 est aussi béant que brutal. Martin Blackman, directeur de la formation des nouveaux talents à partir de 2008 sous le general manager John McEnroe, dresse un constat sans appel : derrière Serena « on n’avait plus que cinq filles dans le top 100. Chez les hommes, le déclin a été plus lent mais avec le même résultat. On était en train de sombrer loin derrière les autres nations dans le développement des joueurs. »

Martin Blackman, general manager de la formation à la fédération américaine de tennis (USTA).
Martin Blackman, general manager de la formation à la fédération américaine de tennis (USTA). – David Goldman/AP/SIPA

Le plan Marshall mis en place s’oriente autour de cinq priorités : créer des centres d’entraînement régionaux, développer des ponts avec les académies privées et la filière universitaire, unifier la philosophie et la technique d’entraînement des joueurs et des coachs, et mutualiser l’aide pour les pros du top 300, avec un accès à des techniciens ultra-spécialisés (nutrition, mental, analytics). Et embaucher le gourou José Higueras.

Ancien numéro 6 mondial des années 1970-80, le technicien espagnol a coaché Michael Chang et Jim Courier lors de leurs trois victoires à Roland-Garros, puis aidé Pete Sampras et surtout Roger Federer à apprivoiser la terre battue. Après avoir longtemps joué les consultants pour l’USTA, il accepte en 2008 de s’occuper du coaching à plein temps. « John McEnroe a mis huit mois à me convaincre. Il y a toujours trop de politique à la Fédé, et une vision court-termiste. Je leur ai dit qu’il faudrait 10 ou 12 ans pour que ça paie », confie-t-il depuis Palm Springs, où il profite de sa semi-retraite.

Explosion de la diversité

Pendant deux ans, Higueras, avec l’aide de Blackman, sillonne le pays dans une mission d’évangélisation des sections locales et régionales, avant tout pour « coacher les coaches ». « On partait de zéro, il n’y avait aucune structure en place. Ma priorité, c’était que tout le monde parle la même langue et partage la même culture du travail et de l’accountability (rendre des comptes) », résume le néo-septuagénaire. Higueras insiste, « il n’y a pas de recette secrète pour développer un vainqueur de Grand Chelem. Il faut accompagner les joueurs les plus prometteurs et ceux qui travaillent le plus dur, et commencer par ouvrir nos portes au plus grand nombre ».

Roger Federer et son coach Jose Higueras en 2008
Roger Federer et son coach Jose Higueras en 2008 – Adrian Wyld/AP/SIPA

Sauf que pendant longtemps, le tennis, un sport de country club essentiellement pratiqué par les Américains aisés, le plus souvent blancs, est resté inaccessible aux minorités. Les jeunes Afro-Américains préfèrent se tourner vers le foot US et le basket, qui offrent dix fois plus de bourses universitaires que le tennis chez les hommes, et des carrières qui permettent de gagner des millions de dollars sans faire partie du top 5 américain.

« Venus et Serena Williams ont changé la donne et ont eu impact massif pour faire venir plus d’enfants de couleur vers notre sport », note Martin Blackman, qui a succédé à John McEnroe en 2015 comme general manager de la formation à l’USTA. Les centres régionaux de la fédération, à but non lucratif, ont catalysé ce changement, explique-t-il, avec un coût largement inférieur à celui des académies privées comme celles de Nick Bollettieri en Floride (aujourd’hui IMG Academy), et avec des aides mises en place.

Parmi les success stories, il y a évidemment celle de Frances Tiafoe. Fils de parents venus de la Sierra Leone, il dormait plusieurs nuits par semaine sur une table de massage reconvertie en lit du JTCC, dans le Maryland, où son père, gardien de l’établissement, avait converti une pièce de rangement en chambre de fortune.

Frances Tiafoe à l'âge de 17 ans, à Roland-Garros, en 2015.
Frances Tiafoe à l’âge de 17 ans, à Roland-Garros, en 2015. – Francois Mori/AP/SIPA

Coco Gauff, 19 ans, espère, elle, prendre la relève de Serena Williams, et elle a le potentiel pour si elle devient plus régulière. Blackman cite également Sloane Stephens, Madison Keys, et Ben Shelton, sans oublier Brandon Nakashima et Claire Liu chez les athlètes d’origine asiatique. La diversité explose à tous les niveaux : très en vogue depuis le Covid comme activité se pratiquant en extérieur, le tennis a accueilli cinq millions de nouveaux pratiquants depuis 2020, avec près de deux sur trois issus des minorités.

L’autre vecteur du renouveau américain, c’est la filière universitaire, avec l’éclosion de J.J. Wolf, Macky MacDonald et Ben Shelton. A 20 ans, le champion NCAA n’était jamais sorti des Etats-Unis avant d’atteindre les quarts de finale à Melbourne en janvier. « On travaille la main dans la main avec les entraîneurs universitaires. Chaque joueur peut choisir la route qui lui convient le mieux », précise Martin Blackman.

L’attente d’un Grand Chelem

Avec trois fois plus de joueurs et de joueuses dans le top 100 qu’il y a une dizaine d’années, l’investissement « next gen » a déjà payé. Reste à savoir quand un Américain succédera enfin à Andy Roddick, dernier vainqueur d’un tournoi du Grand Chelem – l’US Open en 2003 – et à avoir occupé la place de numéro 1 mondial. Avant deux décennies écrasées par la trinité Federer-Nadal-Djokovic.

« On a entre trois et cinq joueurs capables de remporter un Grand Chelem. Ça va venir bientôt », assure Martin Blackman. Il préfère ne pas donner de noms mais pense à la génération 1997-98, avec Taylor Fritz (5e mondial), vainqueur à Indian Wells l’an dernier, Frances Tiafoe (16e), demi-finaliste à l’US Open en 2022 et Tommy Paul (19e), demi-finaliste à l’Open d’Australie en janvier. Mais aussi Ben Shelton, qui a fait trembler Fritz en Californie samedi et à Sebastian Korda (26e), fils du joueur tchèque Petr Korda et ancien numéro 1 junior. Soit, à eux cinq, une moyenne de 23 ans pour 1m92. José Higueras, qui a coaché Tiafoe, prévient : « Ils ont tous le potentiel technique et physique mais ils devront garder la même volonté pour y parvenir. » « Le secret de champions comme Roger Federer et Rafael Nadal, c’est leur soif de continuer à apprendre et leur profond amour pour le jeu. Ça ne s’enseigne pas. »