France

« Ils sont dans leur monde »… Quelle légitimité pour les étudiants de l’AG qui bloquent l’université Rennes-2 ?

Cela fait un paquet d’années que nous sommes amenés à suivre les mouvements sociaux de l’université Rennes-2. Mais on n’avait jamais vu le campus de Villejean dans un tel état. Sur tous les bâtiments, des tags appelant à la révolution recouvrent les murs. « C’est chouette, c’est bien décoré », glisse une étudiante mobilisée. L’entrée du bâtiment Ereve qui abrite une cafétéria et les associations étudiantes a été fracassée.

Partout sur le campus, des tables et des chaises bloquent les entrées. Déjà salement amochée en février, la fac de sciences humaines a de nouveau été dégradée à l’occasion d’une occupation qui aura duré deux jours. Appelée par la présidence de l’université, la police est venue évacuer à deux reprises les bâtiments occupés. « Il y avait de réels risques pour la sécurité et l’intégrité des bâtiments était menacée », justifie la présidence, qui déplore « au moins 100.000 euros de dégâts ».

Pas de réouverture avant le 30 mars

Les conséquences sont lourdes. Le campus ne pourra pas rouvrir avant le 30 mars précise la direction, qui invite à la poursuite des cours en distanciel. « Ces modalités d’actions, adoptées par un petit groupe de personnes, sont inacceptables et ne seront pas tolérées. » Le bâtiment B, le plus grand, est salement touché et ne pourra pas rouvrir avant un long moment.

Des dégradations importantes ont été commises sur le campus Villejean de l'université Rennes-2 lors des blocages et occupations de la fac.
Des dégradations importantes ont été commises sur le campus Villejean de l’université Rennes-2 lors des blocages et occupations de la fac.  - Photo fournie à 20 Minutes

En février, la facture s’était déjà élevée à 300.000 euros de dégradations. Ce vendredi, le président de la région Bretagne a « condamné fermement » ces dégâts. « Saccager des lieux de savoir, c’est attaquer la mission même de l’université, c’est piétiner l’idéal républicain de l’éducation pour tous. Rien ne justifie de telles dérives », martèle le socialiste Loïg Chesnais-Girard.

« Les dégradations, c’est un choc »

Réputée pour sa tendance à être souvent bloquée, la fac de sciences humaines a régulièrement été le théâtre d’occupations pour dénoncer la loi Travail ou encore la réforme des retraites. Depuis plusieurs mois, c’est contre l’austérité et la baisse des budgets alloués à l’université que des étudiants et des personnels de Rennes-2 se mobilisent, sous l’impulsion de syndicats comme Sud Education ou l’Union pirate.

Le syndicat étudiant, très proche de La France insoumise, trouve « scandaleux » que la police soit intervenue et maintient sa volonté d’occuper la fac pour organiser sa lutte. Sauf que le message a de plus en plus de mal à être entendu. « J’ai l’impression que le mouvement reste assez suivi. Il y a du monde en AG. Mais les dégradations, c’est un choc, même dans les rangs des collègues mobilisés. Il y a une incompréhension, ça dessert la mobilisation », explique une membre du personnel sous couvert d’anonymat.

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Fermée depuis lundi, l’université ne devrait pas pouvoir rouvrir lundi, suscitant l’inquiétude de nombreux étudiants. « La contestation, je ne la remets pas en question. On est tous d’accord pour dire que les plans d’austérité sont une mauvaise chose pour nos universités. Mais on se retrouve sans cesse bloqués. A un mois des partiels, c’est compliqué », déplore Juliette, étudiante en première année. Assise à ses côtés, Angeline estime qu’en cassant « le mouvement se décrédibilise ». Dans l’entourage des deux jeunes femmes, de plus en plus d’étudiants sont en pétard contre les « bloqueurs ». « Autour de moi ou dans ma classe, je ne connais personne qui y soit favorable. On veut juste aller en cours et on est bloqués par une minorité », déplore Ange, étudiant en première année.

« On se fait huer, on se fait traiter de facho »

Ces blocages ou occupations sont décidés en assemblée générale. Des réunions organisées dans l’enceinte de l’université qui sont « ouvertes à tous », assurent ses défenseurs. « Une AG, c’est pour tout le monde. C’est là qu’on discute, qu’on échange. Mais forcément, on n’aura jamais 20.000 étudiants à venir », défend une étudiante en master 1 qui souhaite rester anonyme. Selon elle, l’occupation des bâtiments est « le seul moyen de pouvoir organiser la lutte ». Les dégradations ? « Oui, il y a du matériel qui est dégradé. C’est une réaction à une violence systémique. On ne nous écoute pas. »

Des dégradations importantes ont été commises sur le campus Villejean de l'université Rennes 2 lors des blocages et occupations de la fac.
Des dégradations importantes ont été commises sur le campus Villejean de l’université Rennes 2 lors des blocages et occupations de la fac.  - Photo fournie à 20 Minutes

Ce discours prôné par les étudiants mobilisés convainc de moins en moins. Depuis quelques jours, il est même ouvertement critiqué par des étudiants lassés d’être privés de cours. « L’AG n’a aucune légitimité. Elle est organisée par des étudiants mobilisés. C’est biaisé », déplore un étudiant. « A chaque fois qu’on prend la parole pour s’opposer au blocage, on se fait huer, on se fait traiter de facho », poursuit une autre étudiante.

« L’AG, c’est celle de l’Union pirate. Personne n’ose vraiment parler pour s’opposer par peur de se faire huer. Dès que tu t’opposes un peu, tu te fais agresser. Les gens qui bloquent, ils sont dans leur monde, ils ne supportent pas la contradiction », regrette Ange. « Dès que nous osons exprimer un désaccord avec le blocus, nous sommes immédiatement insultés ou pris à partie. Où est la liberté de choix et de pensée dans tout cela ? », interroge une autre étudiante de première année. Des étudiants en troisième année de musicologie ont lancé une pétition appelant à une reprise des cours.

Souvent brandie comme un espace de liberté de parole par ses défenseurs, la fameuse AG est-elle vraiment représentative de l’ensemble des étudiants ? Probablement pas. D’autant que le dialogue avec la direction a été rompu. Sur l’entrée du bâtiment de la présidence, un tag résume l’ambiance : « Présidence ennemie du mouvement social, maintenant c’est la guerre. »