« Il refusait de rendre son véhicule » : L’impuissance des proches de seniors face à la conduite à risque de leurs aînés
Le sujet est sensible, la solution proposée peut faire parler. Dans une nouvelle campagne de prévention intitulée « Docteur est-ce grave si je conduis ? », la Sécurité routière rappelle qu’il est possible de signaler aux autorités un proche jugé inapte à conduire.
« Signaler une personne est un sujet délicat », concède la Sécurité routière, avant de détailler la procédure : un parent ou un proche peut en dénoncer une autre, qu’elle juge dangereuse au volant.
Après un envoi de courrier ou un e-mail détaillant le signalement au préfet, ce dernier peut agir en fixant une échéance à la personne visée. Elle doit alors se présenter chez un médecin agrée pour une visite médicale. Selon l’avis médical, les autorités peuvent suspendre le permis, ou autoriser la conduite avec des restrictions (interdiction de la conduite de nuit, sur autoroute etc.).
« Je suis davantage favorable au dialogue avec la personne »
Parmi nos lecteurs et lectrices de 20 Minutes, la procédure divise. Certains ne veulent pas entendre parler de dénonciation. « Je suis davantage favorable au dialogue avec la personne. La délation, c’est très malsain et contreproductif », juge Cédric.
Béatrice s’est elle retrouvée face à un cas de conscience avec son père. Mais elle a préféré agir seule. « Ça n’a pas été simple, plusieurs fois j’ai dû remettre le sujet sur le tapis jusqu’au jour où sa voiture a été jugée trop dangereuse. J’ai fait venir un garagiste qui l’a emmenée pour la ‘réparer’. Depuis, plus de voiture. »
Même raisonnement pour Alain, qui assure préférer « piquer les papiers et les clés » d’un proche dangereux en voiture, plutôt que de le dénoncer aux autorités.
« Je l’ai fait pour ma mère, il était temps »
D’autres lecteurs trouvent au contraire le dispositif utile. « Si j’avais été mise au courant il y a quelques années, je l’aurais fait », jure Alphonsine en pensant à son grand-père, aujourd’hui décédé. « Il était handicapé, il ne savait plus marcher. Malgré cela, il conduisait encore et il faisait le trajet Lille/Nice plusieurs fois dans l’année. Aurait-il été capable de réagir d’urgence en conduisant ? »
Marc a été contraint d’user de cette procédure de signalement, sans regrets. « Je l’ai fait pour ma mère, il était temps. Elle avait des difficultés à passer les vitesses et avait embouti la pelleteuse sur notre propriété ».
En se remémorant la conduite de son père, aujourd’hui décédé, Jean-Pascal ne peut que soutenir la campagne. « Mon père a roulé avec son véhicule jusqu’à l’âge de 83 ans. Il n’entendait pratiquement plus, il voyait très mal et donc conduisait très dangereusement. Il pouvait par exemple effectuer 15 km bloqué sur la deuxième vitesse sans s’en rendre compte, ou déboîter dans une rue en sens interdit. »
Pour être contrôlé, encore faut-il en avoir la volonté. En dernier recours, Geoffroy a dénoncé son père aux autorités. « Il a subi trois AVC, a été placé en EHPAD, mais malgré ses problèmes psychologiques, il refusait de rendre son véhicule, déplore notre lecteur. Je ne pouvais plus dormir, j’avais peur qu’il écrase les enfants situés dans l’école située juste à côté de son établissement ».
Des examens médicaux obligatoires dans plusieurs pays
Malgré les multiples convocations, le père de Geoffroy ne s’est jamais présenté aux rendez-vous. « Son permis lui a été retiré mais il n’a pas rendu son véhicule », poursuit le fils qui se refuse tout de même à prévenir la police même s’il soupçonne son père de conduire.
D’autant que les conséquences peuvent être tragiques. Le jour de Noël, dans le Nord de la France, une automobiliste de 91 ans est décédée après avoir arpenté l’autoroute à contresens sur plusieurs dizaines de kilomètres.
Les conducteurs séniors ont été « plus souvent présumés responsables d’accidents mortels (64 %) que les autres conducteurs (56 %) » selon les chiffres de l’Observatoire national interministériel de la Sécurité routière en 2022.
Toutefois, « le nombre de seniors présumés responsables rapporté au million d’habitants de cet âge est équivalent après 75 ans au ratio analogue des 25-34 ans, et inférieur à celui des 18-24 ans. Cependant, rapporté au kilométrage réalisé, le risque d’être présumé responsable pour les 75-84 ans dépasse celui des 25-34 ans, et, pour les 85 ans et plus, celui des 18-24 ans ».
« Plutôt que d’autoriser la délation, il serait plus judicieux de prévoir un examen médical obligatoire qui permettrait d’officialiser, ou non, la capacité à conduire », juge Alexandre.
Bien que 14 pays de l’UE contraignent les automobilistes amateurs à un examen obligatoire à partir d’un certain âge, le Parlement européen a rejeté cette année le principe d’un contrôle médical obligatoire.
En France, la paraathlète Pauline Déroulède, amputée d’une jambe en 2018 après avoir été renversée par un automobiliste nonagénaire, se bat depuis des années pour alerter sur le sujet.