« Il ne faut pas s’attaquer à Bernard Arnault »… Des militants écologistes en procès face à la Fondation Louis Vuitton

Il est tout juste 9h, ce 1er mai 2023, lorsqu’une trentaine de personnes s’élance à visage découvert dans l’avenue du Mahatma Gandhi, près du Jardin d’acclimatation, dans le 16e arrondissement de Paris. En quelques secondes, les membres du petit groupe se répartissent de chaque côté de l’imposante Fondation Louis Vuitton et commencent à recouvrir le bâtiment de rouge et de bleu, à l’aide de ballons de peinture qu’ils projettent sur les murs.
Puis ils s’attellent à tagger au pochoir, sur le sol, un seul et même message, « taxer les riches ». Juste à côté, y est apposé le logo vert au sablier noir très reconnaissable du mouvement écologiste Extinction Rebellion (XR). Quelques minutes plus tard, les militants repartent, sans encombre. L’opération n’aura duré, en tout et pour tout, qu’une dizaine de minutes.
Mesures répressives et privation de liberté
Plus de deux ans après les faits, quatre d’entre eux s’apprêtent à comparaître, ce mardi, devant le tribunal judiciaire de Paris. Ils sont poursuivis pour « dégradation ou détérioration du bien d’autrui commise en réunion », « refus de se soumettre à un prélèvement biologique » et « refus de remettre aux autorités judiciaires la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie », en l’occurrence le code de déverrouillage de leurs téléphones portables.
Des motifs contestés par l’avocat de la défense, Alexis Baudelin, qui plaide pour une requalification des faits, qui permettrait aux activistes d’être jugés, non pas pour dégradations lourdes mais pour dégradations légères. Un détail qui a son importance. « Les dégradations légères relèvent du contraventionnel, donc d’une simple amende, sans risque de prison. Mais viser une infraction plus importante qu’elle ne l’est en réalité est assez récurrent dans ce type d’affaires, assure l’avocat. Cela permet aux autorités de police d’utiliser, ensuite, tout un panel de mesures répressives et de privation de liberté ».
Perquisition, garde à vue, contrôle judiciaire
Au début du mois de juillet 2024, des perquisitions ont ainsi été menées aux domiciles des prévenus. Réveillé, comme les trois autres activistes, à 6h du matin par des officiers de police, Thibaut* a ensuite été placé en garde à vue puis déféré devant un juge d’instruction, avant de ressortir, 24 heures plus tard, sous contrôle judiciaire.
Encore sous le choc de cet épisode qu’il qualifie de « violent et disproportionné », il avoue avoir, aujourd’hui, beaucoup de mal à s’en extraire : « Je ne sais pas si on peut appeler ça du stress post-traumatique, mais depuis, je me réveille souvent à 6h du matin de manière mécanique, un peu comme un réflexe. Et pendant longtemps, j’ai eu, à de nombreuses reprises, l’impression que quelqu’un sonnait à ma porte. Donc je me levais régulièrement pour aller vérifier que personne n’était sur le palier », raconte-t-il.
Pendant six mois après sa garde à vue, Thibaut a également été contraint de stopper une partie de ses activités associatives, le contrôle judiciaire lui interdisant d’entrer en contact avec les trois autres prévenus : « Nous évoluons au sein des mêmes cercles militants, et nous avons également beaucoup d’amis en commun puisque nous sommes très proches. Pendant cette période, je me suis vraiment senti très isolé ».
Un acte « totalement assumé »
A travers cette action de désobéissance civile, les activistes de XR souhaitaient surtout dénoncer l’évasion et l’optimisation fiscale des entreprises les plus fortunées. Celles-là mêmes qui sont bien souvent pointées du doigt pour leur impact environnemental. Des pratiques que Thibaut assure, par ailleurs, être largement employées par la Fondation Louis Vuitton : « Lors du procès, j’espère que nous pourrons faire valoir nos arguments. D’autant que nous avons choisi de réaliser cette action à visage découvert, et que nous n’avons absolument rien cassé ».
« L’acte en lui-même est totalement assumé. Il s’agit clairement d’une action militante qui porte un message politique. Et qui devrait, selon nous, être protégée au titre de l’exercice de la liberté d’expression », expose, pour sa part, Alexis Baudelin.
Mais malgré une jurisprudence qui pourrait jouer en la faveur de ses clients, l’avocat préfère rester prudent quand à l’issu possible du procès : « Derrière la fondation Louis Vuitton, il y a Bernard Arnault. Et c’est cet élément-là qui pourrait complètement changer la donne. Ce n’est certes que de la peinture, mais elle a été jetée sur un symbole fort. Et au vu des moyens employés dans cette affaire, visiblement, il ne faut pas s’attaquer à Bernard Arnault ».
Un préjudice estimé à moins de 20.000 euros
Alexis Baudelin avoue être aussi particulièrement inquiet des dommages et intérêts que la Fondation pourrait réclamer aux quatre militants, dans le cas d’une condamnation. D’après une liasse de factures établies par l’entité de LVMH, auquel 20 Minutes a pu avoir accès, le montant des travaux ayant permis la restauration de la façade et du sol a été chiffré à 19.559,70 euros.
Presque une broutille pour le musée d’art à laquelle les sociétés du groupe n’avaient pas hésité à verser la coquette somme de 863 millions d’euros, de 2007 à 2017, destinée à la construction du bâtiment et au paiement de divers frais de fonctionnement. Une manœuvre stratégique ayant permis au groupe LVMH d’économiser 518,1 millions d’euros d’impôts, d’après un rapport sur le mécénat publié par la Cour des comptes en 2018. A contrario, « le montant des réparations serait un vrai coup dur pour les militants », estime l’avocat de la défense.
Déjà reporté une fois en janvier dernier pour un problème de « calibrage », le tribunal n’ayant alors prévu que deux heures pour traiter une affaire qui en nécessite le double, le procès qui s’ouvre aujourd’hui devrait néanmoins permettre un échange autour de la problématique de l’évasion fiscale en France et des moyens mis en œuvre dans sa lutte. Un agent du fisc a ainsi été invité par la défense à venir témoigner à la barre.
Les quatre prévenus risquent, eux, jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende. Contactée par 20 Minutes, la Fondation Louis Vuitton a répondu ne pas souhaiter faire de commentaire ni en amont, ni pendant le procès.
(*) Le prénom a été changé.

