France

« Il faut des voix issues d’autres milieux sociaux à la télé », confie Camille Diao qui prend la tête « C ce soir »

Avec une dizaine d’apparitions à la présentation de l’émission C ce soir, la chroniqueuse Camille Diao est parvenue à enfiler le costume d’animatrice du programme quotidien de France 5. Un rôle qui est récurrent depuis ce 28 mars puisqu’elle remplace officiellement Karim Rissouli, en congé paternité pour « plusieurs semaines ». 

Sénégalaise par son père, normando-bretonne par sa mère, la journaliste revient sur son parcours à la télévision, après avoir fait ses premiers pas en radio. Si elle estime avoir encore une grande marge de progression à combler, elle sait que l’émission de débat de deuxième partie de soirée de la Cinq est un « terrain fertile intellectuellement, idéal pour s’améliorer. »

Elle dévoile qu’à chaque émission « une idée, une phrase va [lui] rester dans la tête et qui va sans doute déboucher sur une idée qu'[elle] va digérer et qui pourrait déboucher sur quelque chose un jour ». Entre nouveau défi, place de la diversité à l’écran et perspective d’avenir, 20 Minutes s’est entretenu avec la journaliste de 32 ans.

C ce soir occupe une place particulière dans l’audiovisuel français. Comment avez-vous réagi quand on vous a présenté d’en devenir l’animatrice ?

C’est quelque chose qui est nouveau pour moi à la télévision. C’est Karim lui-même qui m’a proposé de le remplacer. Il m’a dit à la rentrée que c’était la solution qui lui paraissait la plus logique. J’ai été très touchée, je ne m’y attendais absolument pas. J’imaginais plutôt ça pour dans quelques années donc quand Karim me l’a proposé, j’ai été touchée de la confiance qu’il me témoignait. C’était une sacrée opportunité donc j’ai tout de suite dit oui et je me suis mise au travail.

Comment vous y êtes-vous préparée ?

L’idée c’était que je puisse m’entraîner à partir du mois de septembre. J’ai été très bien accompagnée par la production et par Karim. Ils m’ont permis de faire des remplacements une fois de temps en temps depuis l’automne. 

Aviez-vous envisagé de vous retrouver à la tête d’une émission en devenant journaliste ?

Forcément. J’ai eu un parcours à la radio avant d’arriver à la télévision et j’ai animé pas mal d’émissions sur Radio Nova. Ce n’est pas le même format mais en arrivant à la télévision ça me paraissait une évolution logique qu’un jour ça puisse déboucher sur le fait que j’anime ma propre émission. Disons que c’est arrivé un peu plus vite que je pensais et j’en suis très contente.

Vous avez intégré C ce soir à sa création en 2021, comment avez-vous évolué depuis ?

Je pense qu’il n’y a pas de meilleur endroit à la télévision française où je pourrais être. Je me sens privilégiée de faire partie de cette émission qui a une vraie proposition. L’idée était de créer un espace de débat apaisé dans lequel on puisse recevoir des personnes qui ont différentes opinions mais qui échangent dans le respect. Je pense que c’est quelque chose qui manquait à la télévision. En rejoignant l’émission j’avais conscience que ça avait du sens.

L’émission permet d’ailleurs de constater que le débat peut se faire sans rechercher le buzz…

Oui. Je pense que si on a réussi quelque chose, c’est de démontrer qu’un débat plus apaisé est possible et que des opinions très différentes voire opposées peuvent se rencontrer sans qu’on rentre dans le clash, l’invective… C’était un vrai pari. Je sais que Karim au moment de la création de l’émission n’était pas sûr que ce soit possible. Il avait peur de laisser une trop grande place au débat et de tomber dans les travers des chaînes d’infos. 

Quels retours recevez-vous des téléspectateurs ?

Ce type de débat manquait et les gens apprécient. Les gens nous disent : « Ça nous fait du bien parce que ça nous montre qu’il est possible de parler ensemble même si on ne se connaît pas bien, même si on n’est pas d’accord. »

Vous avez aussi co-animé Le livre favori des Français en décembre 2022. Qu’avez-vous pensé de l’exercice du prime time sur France 2 ?

C’était un registre différent. J’étais heureuse d’avoir l’occasion de revenir vers des sujets plus culturels. C’était un exercice intéressant de réfléchir à comment créer un divertissement qui parle de littérature tout en restant dans le registre très grand public où on apprend des choses.

Ces expériences laissent présager de belles choses pour la suite. Quels sont vos objectifs ?

Pour l’instant je suis très concentrée sur ce nouveau défi, je n’en suis pas encore à me projeter sur ce qui va arriver derrière. Je me sens très bien dans C ce soir et j’ai envie de continuer à participer à cette aventure. En parallèle, j’aimerais à terme revenir vers des sujets plus culturels. Je suis passionnée de musique et j’aimerais avoir l’occasion de proposer quelque chose autour de la façon dont la musique éclaire le monde dans lequel on vit. C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup.

Pour autant, vous ne rêvez pas de devenir la nouvelle Léa Salamé…

Honnêtement, pas du tout. Je trouve assez précieux de me laisser guider par les opportunités. Je suis un peu arrivée à la télévision par hasard, ça n’a jamais été mon but. On me l’a proposé et j’y suis allée… En fait je n’ai pas de plan de carrière. Mon but n’est pas de devenir la journaliste télé la plus connue de France et de présenter des prime time.

Être une femme métisse à la télévision française reste rare. Est-ce une fierté pour vous de montrer que c’est possible ?

Ce qui est étonnant c’est que ce n’est jamais quelque chose que j’ai pensé explicitement. Depuis que je travaille à la télévision et que je suis plus exposée, je reçois beaucoup de messages de téléspectatrices et de téléspectateurs qui me disent : « Ça nous fait du bien de voir quelqu’un comme vous à la télé, une jeune femme, issue de la diversité qui porte des dread locks et des Doc Martens… » C’est dans les yeux des gens que je perçois l’importance de la représentation.

Vous n’aviez jamais envisagé que cela puisse être un obstacle ?

Je suis issue de la diversité mais je suis issue d’une famille de classe moyenne. Je n’ai pas grandi dans un milieu défavorisé. Mes parents sont fonctionnaires, ils m’ont élevée en me disant que j’allais faire des études, que je pouvais faire ce que je voulais dans la vie. Ils m’ont donné les moyens pour me réaliser. Je trouve important de faire advenir à la télévision des gens issus de différentes origines, plus de femmes mais aussi de faire advenir des voix qui viennent d’autres milieux sociaux. Et pour ce dernier point, ce n’est pas mon histoire à moi…

Pourtant, vous faites encore figure d’exception. Cela veut dire qu’il y a du chemin à faire à ce niveau-là ?

Oui. Mais je pense que c’est en marche. En tout cas sur le service public, je perçois une volonté de faire advenir d’autres voix, d’autres points de vue. On est au début du chemin et ma présence à l’antenne fait partie du chemin. Mais ce que je souhaite pour la suite, c’est qu’il y ait plein d’autres personnalités qui émergent et qui viennent d’un peu partout et qui offrent des points de vue très différents par rapport au mien.

Par quels chemins cela doit-il passer ?

Ça passe aussi pas les formations, par les recrutements dans les écoles… C’est un combat que pas mal de jeunes journalistes sont en train de mener. Ça passe aussi beaucoup par Internet. Je regarde tout ce qu’il se passe sur Twitch et je pense que c’est aussi là que des voix émergent dans le journalisme. J’espère que les médias traditionnels tels que la télévision seront capables d’absorber ça et de voir qu’il y a différentes voix qui naissent ailleurs et qu’il est temps de leur laisser un peu de place aussi.