Harcèlement scolaire, viols… Une famille attaque l’Etat pour « défaut de surveillance » à l’école
«Les garçons l’attendaient dans les toilettes, ils s’enfermaient dedans, la touchaient, lui mettaient des doigts dans les parties intimes, du savon, de l’herbe, de la terre. Elle pleurait et eux riaient. » Alice*, qui avait alors 7 ans et était en CE1 dans une école des Bouches-du-Rhône, s’est plainte en octobre 2022 de viols de la part de trois garçons de son école. Pour les parents, qui avaient aussi un garçon en CM2 dans le même établissement, victime de harcèlement scolaire, ce fut d’abord l’état de choc et la sidération. Puis le temps du combat. A tel point que ces parents ont décidé d’attaquer en justice l’Education nationale et la ville, responsable du périscolaire, pour « défaut de surveillance », dans le cadre d’une procédure civile.
Pour Armand*, le frère d’Alice, les faits ont commencé dès le CP selon ses parents. Des enfants l’insultent et le frappent régulièrement. Son père et sa mère ont sollicité des entretiens tous les ans avec l’école, mais rien n’a été fait selon eux. Ce n’est qu’en septembre 2022, au moment où la santé de leur enfant se dégrade considérablement, que la procédure pHare contre le harcèlement scolaire est lancée.
Armand « rapporte un mal-être évolutif depuis plus d’un an », écrit un médecin dans un certificat daté du mois de novembre 2022. « Il rapporte des propos insultants sur son physique, ainsi qu’une violence physique sur sa personne, d’autres enfants qu’il désigne. Les fonctions intellectuelles sont altérées, car on retrouve des crises d’hyperphagies [crises de boulimie] […] ainsi qu’un sommeil perturbé avec des cauchemars dans lesquels il se fait frapper par les enfants désignés », écrit aussi le médecin. L’enfant est arrêté pendant près d’un mois au total fin 2022.
Trouble de stress post-traumatique
Pour Alice, la révélation a lieu en octobre, lorsqu’elle demande à sa mère si c’est « normal d’avoir du rouge dans le pipi ». La petite affirme qu’un enfant lui a mis « le doigt dans le trou » et qu’on la menace de noyade si elle parle. Elle révèle de multiples coups, des humiliations, des pénétrations de corps étrangers et de doigts. Des scènes qui se sont produites à plusieurs reprises. Dans les jours qui suivent, Alice est dans un état typique de celui que vivent les victimes de viols. Ce n’est plus la même petite fille. Elle ne dort plus, elle fait des crises d’angoisse, elle s’énerve. Consulté à plusieurs reprises durant cette période, son médecin généraliste décrit « un trouble de stress post-traumatique ».
La mère d’Alice, Marthe* et son compagnon se rendent au commissariat et déposent plainte pour agression sexuelle en réunion dès le lendemain des révélations. Ils se rendent dans la foulée aux urgences, qui diagnostiquent « une vulve érythémateuse jusqu’au périnée », ainsi qu’une « petite plaie de la lèvre gauche » et une « anxiété importante ». Ils déposeront plainte pour leur fils quatre jours après.
« Je n’ai pas le temps, va voir ta maîtresse »
L’école est aussi immédiatement alertée mais le directeur se montre, selon leur témoignage, « apathique », et aurait proposé selon eux dans un premier temps de déplacer Alice dans une autre école. Les parents apprennent plus tard qu’une animatrice du périscolaire a entendu des cris dans les toilettes pendant les agressions subies par Alice, sans intervenir. « Je n’ai pas le temps, va voir ta maîtresse », aurait-elle répondu à l’intention d’un petit garçon venu rapporter le problème, selon le témoignage du père de ce dernier, rapporté sur une attestation écrite.
Deux semaines après les faits, l’inspection de l’Education nationale annonce que les auteurs vont être exclus. Un conseil d’école promet des « mesures de sécurité renforcée » pour la surveillance des récréations, avec la présence d’un adulte supplémentaire. Et la fermeture des toilettes, qui ne seront ouvertes que sur demande. Une cellule d’écoute est mise en place. Mais aucune mesure n’est organisée pour recueillir la parole des autres enfants, ce qui désespère Marthe.
« J’ai en charge 10.000 personnes, se justifiait l’an dernier auprès de 20 Minutes Sophie Sarraute, qui était alors directrice académique adjointe et a géré l’affaire. Nous avons pris grand soin de cette affaire. On a fait convoquer les familles des élèves avant le résultat de l’enquête. On a changé, dans les jours qui suivaient, les enfants d’école. Une psychologue scolaire était présente tous les jours pendant deux semaines et les parents et enfants étaient encouragés à aller la voir. Peut-être qu’on aurait pu mieux faire sur la manière de recueillir cette parole mais on a fait en sorte qu’elle puisse s’exprimer. »
« Faute caractérisée »
Depuis cet épisode, la famille a déménagé pour permettre à tout le monde de se reconstruire. Et les plaintes ont été classées sans suite, en raison notamment du jeune âge des enfants impliqués. Mais Marthe ne veut pas que ses enfants aient souffert pour rien. Elle attend désormais que l’Etat et la commune leur rendent des comptes. Car selon le Code de l’Education, « la surveillance des élèves durant les heures d’activité scolaire doit être continue et leur sécurité doit être constamment assurée », et une « vigilance doit être exercée à l’égard des sanitaires afin de sécuriser leur utilisation par les élèves ». Pour surveiller ces lieux, les équipes sont censées s’organiser entre elles pour se relayer pendant les récréations.
« Pour Armand comme pour Alice, il est incontestable que le défaut de surveillance a permis aux enfants agresseurs de passer de nombreuses fois à l’acte et de se livrer à de multiples agressions », énonce l’assignation que nous avons consultée. Les demandeurs soulignent « une faute caractérisée » et demandent 100.000 euros à l’Etat et à la commune au titre des différents préjudices subis par les parents et les enfants.
« Si une nouvelle plainte a été déposée, seule la justice reste compétente pour toute nouvelle procédure », nous répond aujourd’hui le rectorat. La commune des Bouches-du-Rhône n’a pas répondu à nos différentes sollicitations.
* Les prénoms des parents et des enfants ont été modifiés.