France

Guide Michelin 2023 : « L’étoile, c’est un rêve d’enfant », confie Camille Saint-M’Leux, le seul chef étoilé du 93

« Je ne sais pas. C’est déjà incroyable ». La réponse de Camille Saint-M’Leux, le chef de la Villa 9Trois à Montreuil qui vient d’obtenir sa première étoile au Guide Michelin, à la question « Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ? » est pour le moins détonante. Circonspect ? Blasé ? Plutôt incrédule même deux semaines après cette première consécration gastronomique. « Je ne suis pas un grand expressif mais oui je suis aux anges », confie encore le jeune cuisinier de 27 ans.

« L’étoile, c’est un rêve d’enfant, expose-t-il posément. Je veux faire ce métier depuis tout petit, pas « seulement » cuisinier, mais bien chef étoilé, c’est vraiment mon inspiration. Celui qui sort de sa cuisine avec son grand tablier blanc, sa veste propre ». Et pour y parvenir, Camille Saint M’Leux n’a pas traîné : du Taillevent dans le 8e arrondissement de Paris à cette première étoile à la Villa 9Trois à Montreuil, il s’est écoulé à peine dix ans. Rencontre avec le désormais seul chef étoilé de la Seine-Saint-Denis.

Un rêve bien ancré

Camille Saint M’Leux, « originaire de Nantes mais avec une grosse culture bretonne », fait ses classes à l’école Ferrandi à Paris, avant une expérience à Londres puis une alternance « déterminante » au Taillevent. « J’ai ensuite rejoint Michaël Bartocetti au Shangri-La en pâtisserie », révèle le Nantais, dont la vocation s’est confirmée très tôt. « En 3e, j’ai fait mon stage à l’Atlantide à Nantes, avec le chef Jean-Yves Guého, et là, j’ai su, je n’avais plus aucun doute sur ce que je ferais plus tard ».

Après cet apprentissage des desserts, Camille Saint M’Leux intègre l’équipe de Christian Le Squer au Cinq, établissement 3 étoiles, pendant un an et demi au George V. Il y côtoie de près son rêve de cuisine étoilée, avant de tenter l’expérience en Australie pendant un an en 2019. « J’en ai ramené la façon d’utiliser le fumet, ainsi qu’une expérience et une recherche déterminantes sur l’umami, que je n’avais pas forcément cerné avant de voyager. Avec l’iode, celle de mon enfance et de mes influences bretonnes, ce sont les trois piliers de ma cuisine. »

Il rentre en France juste avant la crise du Covid-19 et lance une glacerie artisanale bio au lait cru. « Chaque début de semaine, j’allais chercher le lait à la ferme », se remémore-t-il. Mais l’appel de la cuisine est trop fort pour Camille Saint-M’Leux qui décide en 2021 de repartir dans l’hôtellerie-restauration. « Il y a deux ans, l’un des deux propriétaires de la Villa 9Trois m’appelle. Ils venaient d’engager un nouveau directeur et avaient pensé à moi pour la cuisine », narre le jeune chef étoilé. Bien qu’un peu décontenancé par le nom et l’emplacement, le jeune chef n’hésite pas longtemps à se lancer pour la première fois en solo. « J’ai eu un gros coup de cœur pour le lieu, le projet ».

Un pari osé

Il faut dire que l’institution montreuilloise, qui existe depuis quasiment 30 ans, n’était pas le pari évident pour lancer de la cuisine gastronomique en Seine-Saint-Denis : rachetée il y a cinq ans, la Villa 9Trois servait, de l’aveu même du chef actuel, « une cuisine bourgeoise, de belles pièces de viande grillée avec des pommes de terre ou encore de la sole meunière ». Camille Saint M’Leux a d’autres ambitions pour le restaurant, baptisé à sa création Le Gaillard. « J’ai dû convaincre les propriétaires de se lancer dans la course à l’étoile ». Mais comment ? « En baissant le nombre de couverts de 100 à 55 en moyenne trois mois après mon arrivée, en transformant la carte vers une cuisine plus gastronomique et en créant des menus dégustation », narre-t-il.

« C’est sûr que ce virage à 180 degrés n’a pas été simple, on a eu deux trois mois de doutes, se rappelle le chef. On a perdu 40 % de la clientèle d’habitués ». Bref, ce saut vers les cimes étoilées a tout du pari très osé pour toute l’équipe de la Villa 9Trois. Et pourtant.  « On a rapidement capté une nouvelle clientèle, qui vient majoritairement de Seine-Saint-Denis : des chefs d’entreprise, des politiques », décrit Camille Saint M’Leux, qui rappelle que grâce à la politique volontariste du département d’attirer des sociétés avec des subventions importantes, le 93 peut se targuer d’avoir des sièges importants sur son territoire, « notamment beaucoup d’entreprises dans le BTP ».

Place aux étoiles en Seine-Saint-Denis

Le soir, place à la « clientèle plaisir », comme l’appelle le chef, « ceux qu’on appelle les foodies ». « Ma cuisine est assez simple, la technique est au service de la simplicité », précise-t-il. « C’est totalement différent de ce que faisait Jean-Claude Cahagnet (à l’Auberge des Saints-Pères à Aulnay-sous-Bois). Mais c’est le premier à avoir osé s’implanter en Seine-Saint-Denis et avoir été chercher l’étoile donc ça inspire le respect. C’était un beau projet ».

« Je n’ai pas vocation à être le seul étoilé dans le département, poursuit Camille Saint-M’Leux. C’est un grand département, il y a de la place pour tout le monde et je pense que le Grand Paris va le confirmer dans les années à venir », ajoute-t-il en concédant « avoir sans doute sous-estimer les enjeux politiques et sociaux de son projet ». « Depuis l’annonce de l’étoile, on a reçu de nombreux messages des Montreuillois, du maire, des adjoints. Toute cette énergie convergente est très positive, je ne l’avais pas mesuré quand je me suis lancé. J’avais surtout vu le côté outsider de la Seine-Saint-Denis », analyse-t-il.

Vers deux étoiles et au-delà

Annoncé il y a une quinzaine de jours seulement, le classement du petit guide rouge a déjà des répercussions sur la Villa 9Trois. L’équipe de 24 personnes cuisine et salle comprises enregistre « plein de nouveaux clients et des réservations à deux trois mois, un phénomène qu’on n’avait pas avant », confie Camille Saint M’Leux. « Cette première étoile pour nous, c’est une validation du pari tenté. Désormais, on a envie d’aller plus loin et de pousser dans cette direction évidemment mais peut-être pas aller à deux tout de suite. Enfin, on veut en prendre la direction quand même », lâche-t-il un peu confus.

« C’était mon rêve et puis finalement une fois atteint, la vie ne change finalement pas beaucoup. Je ne sais pas si je vais vraiment réaliser à un moment », poursuit le jeune chef. Des étoiles à la carte et dans les yeux, Camille Saint M’Leux est finalement comme un enfant qui réalise son rêve de gosse. « C’était l’objectif oui. C’est arrivé comme un soulagement et un encouragement, le bonheur vient après ». A la deuxième étoile peut-être, poke Didier Deschamps ?