France

Guerre en Ukraine : « Une mise en garde plutôt qu’une escalade », comment expliquer ce drone abattu en mer Noire ?

La tension est montée d’un cran entre Washington et Moscou. Un drone américain MQ-9 Reaper a été intercepté en mer Noire par des chasseurs Su-27 puis « percuté par un avion russe, entraînant le crash et la perte » de l’objet volant, mardi, selon le général James Hecker, commandant des forces aériennes américaines en Europe. Un incident qui ravive la discorde entre la Russie et les Etats-Unis, à l’aune de la guerre en Ukraine, et rappelle que la mer Noire est une zone hautement inflammable, d’autant plus depuis le 24 février 2022.

Pourquoi cette région est-elle si propice à l’escalade des tensions ? L’interception du drone américain peut-elle engendrer une surenchère du conflit ukrainien ? Pour Carole Grimaud, experte à l’Observatoire géostratégique de Genève et fondatrice du Centre de recherche sur la Russie et l’Europe de l’Est (CREER), « si ça n’arrange pas » les relations russo-américaines, il s’agit néanmoins d’une « mise en garde » de Moscou à l’égard de Washington sur les actions de l’Otan dans la région.

Pourquoi la mer Noire est-elle une région qui concentre de nombreuses tensions ?

Ce n’est pas la première fois qu’un incident se produit en mer Noire. En juin 2021, déjà, la Russie avait affirmé avoir tiré des coups de semonce contre un navire britannique qui serait entré dans les eaux territoriales russes. A l’époque, la Défense britannique avait démenti avoir franchi la ligne russe ainsi que « l’affirmation selon laquelle des bombes ont été larguées sur [la] trajectoire du destroyer. » Sept mois avant l’invasion russe en Ukraine, les tensions étaient donc déjà palpables dans cette zone maritime.

Il faut dire que les pays qui bordent cette mer intérieure ne partagent pas tous les mêmes alliés. On y trouve à la fois la Turquie, la Roumanie et la Bulgarie, pays membres de l’Otan, mais aussi l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et enfin la Russie. Et justement, pour Moscou, la mer Noire représente « un accès stratégique par ses richesses sous-marines, notamment en pétrole, mais aussi par sa position géostratégique », explique Carole Grimaud. La position de la flotte russe en Crimée est « primordiale », ajoute l’experte, qui rappelle que c’est d’ailleurs une des raisons de l’annexion de la région ukrainienne par Moscou en 2014. La zone est ainsi particulièrement brûlante vers la Crimée que Kiev entend reconquérir alors que les Russes considèrent le territoire comme le leur.

L’incident du drone peut-il déclencher une escalade dans le conflit ukrainien ?

En faisant chuter le drone américain, les Russes montrent ainsi « qu’ils sont prêts à défendre la zone », ajoute Carole Grimaud. Car si l’armée russe dément avoir provoqué la chute de l’appareil, elle reconnaît néanmoins que deux de ses chasseurs l’ont intercepté. De son côté, le commandant des forces aériennes américaines en Europe a dénoncé « un acte dangereux et non-professionnel des Russes. » Kiev estime, pour sa part, qu’il s’agit d’un geste délibéré en vue d’une escalade du conflit. Le secrétaire du Conseil de sécurité ukrainien, Oleksiï Danilov, a ainsi qualifié l’incident de « signal de [Vladimir] Poutine » montrant « qu’il est prêt à étendre la zone du conflit et à y impliquer d’autres parties. »

« Je lis davantage cet épisode comme une mise en garde qu’un réel signe d’escalade, s’il s’était agi d’un avion américain habité par un pilote ou d’un tir russe contre du matériel américain, cela aurait été une autre histoire », nuance Carole Grimaud. L’ambassadeur russe aux Etats-Unis, Anatoli Antonov, a en effet déclaré que les Russes « partent du principe que les Etats-Unis […] cesseront leurs vols près des frontières russes » en niant chercher la « confrontation. » Il s’agit alors d’un signal d’alarme, un message passé aux Américains et plus généralement à l’Otan, dont de nombreux pays soutiennent la résistance ukrainienne, dans « une période critique de haute tension entre la Russie et l’Otan », ajoute l’experte.

A quoi sert le drone Reaper américain en mer Noire ?

Selon le ministère russe de la Défense, le drone américain avait été détecté « dans la zone de la péninsule de Crimée. » Mais selon le général James Hecker, le drone Reaper MQ-9 effectuait « des opérations de routine dans l’espace aérien international ». Il s’agit d’un aéronef de 20 mètres d’envergure piloté à distance, équipé de capteurs embarqués pour la surveillance, ainsi que d’armement. Volant à une vitesse de croisière de 335 km/h, il bénéficie d’une autonomie de plus de 24 heures.

Il est, dans le cas de la mer Noire, comme ailleurs, utilisé « pour une mission de surveillance », selon Carole Grimaud. Dans le cas qui nous intéresse, le drone surveillait notamment « la zone de la Crimée, des navires russes ou encore du trafic maritime », développe Carole Grimaud. Dans cette zone très sensible, la surveillance est donc de mise, notamment pour observer les mouvements de la guerre en Ukraine.