France

Guerre en Ukraine : « Poutine disait qu’il venait pour nous défendre, puis il nous tue », lance Iuliia Mendel

Il avait promis de changer profondément la manière de gouverner en Ukraine. Après son élection à la présidence de la république en 2019, Volodymyr Zelensky décide de pourvoir le poste d’attachée de presse de la présidence par un concours. Iuliia Mendel est choisie parmi trois cents candidats. Celle qui était journaliste va travailler aux côtés du président pendant deux ans, se rendant avec lui sur les lignes de front dans le Donbass.

Redevenue journaliste travaillant pour des rédactions internationales, Iuliia Mendel a publié mercredi Le Combat de nos vies*, où elle dresse le portrait d’un président novice, mais énergique. Iuliia Mendel amène le lecteur dans les coulisses de négociations internationales. Cible de la désinformation russe pendant son travail à la présidence, la jeune femme alerte, prévenant que celle-ci ne s’arrête pas qu’à l’Ukraine. Pour 20 Minutes, Iuliia Mendel revient sur les choix de communication de Volodymyr Zelensky et sur les mécanismes de la désinformation russe.

En donnant de nombreuses interviews, le président Zelensky est devenu le visage de l’Ukraine et incarne le combat de tout un peuple contre l’envahisseur russe. Quelle est l’importance de cette personnification de la résistance ukrainienne ?

Il a toujours pensé que la communication est importante en politique. Si un autre président avait été élu, je ne sais pas s’il y aurait eu un tel soutien à l’Ukraine, parce qu’il sait comment parler aux esprits et aux cœurs. Il s’exprime aussi en trois langues, ce qui est utile parce qu’il peut parler en russe aux Russes.

L’image internationale de l’Ukraine était fragile avant cela [l’élection de Volodymyr Zelensky en 2019]. Il est le premier président dont la voix porte autant sur la scène internationale et il ne brasse pas du vent, il diffuse les points importants. Plus il prendra la parole, plus il atteindra de monde. Il ne s’en est pas caché, il a fait la démarche de parler non seulement aux politiques, mais aussi au grand public, pour que les gens aient une bonne compréhension de la situation et qu’ils influencent les politiques.

Au tout début de la guerre, les Ukrainiens étaient perdus. Et le président Zelensky a dit : « Je vais rester et je vais diriger ». Chaque jour, sa parole est diffusée dans toute l’Ukraine et tout le monde l’écoute. Ainsi, nous comprenons ce qui passe sur le front, quelle est notre stratégie et où nous allons. C’est une chose responsable à faire.

Volodymyr Zelensky a fait un discours aux Golden Globes au début du mois, l’année dernière il a reçu la visite de l’acteur Sean Penn. Pourquoi la présidence accorde-t-elle de l’importance aux soutiens de personnalités ?

C’est très important, surtout pour l’Ukraine. La France est un pays développé avec des institutions fortes, vous avez vos célébrités connues dans le monde entier. En Ukraine, il y a des célébrités, mais elles ne sont pas si connues. Je ne pense pas qu’attirer Hollywood sur des sujets d’importance soit nouveau. Les gens adorent ces stars et à travers eux, on peut changer l’attention des gens. Pour l’Ukraine, il est très important que les célébrités la regardent et qu’ils viennent voir ce qu’il s’y passe, qu’ils prennent le train pour aller là où il y a des missiles et des drones. C’est comme cela que l’on peut faire passer le message, à travers ces célébrités. Et je suis sûre qu’il y a aussi ce lien entre eux parce que le président Zelensky est aussi un acteur. Ces personnalités le voient endosser un nouveau rôle, et elles sont curieuses de voir comment fonctionne son esprit.

Vous écrivez que la Russie diffusait de la propagande en Ukraine avant l’invasion de février 2022. La désinformation russe a-t-elle changé après cette invasion ?

L’Ukraine est devenue un terrain d’expérimentation pour les Russes, pour qu’ils essaient leurs instruments d’influence notamment dans l’espace informationnel. Les systèmes de bots et de trolls ont été testés en Ukraine. Si nous voulons gagner ce jeu, nous devons d’abord reconnaître que ce système existe. La Russie a essayé de pénétrer notre système informationnel, sur Internet avec les réseaux sociaux, et avec la télévision russe. En 2014 en Ukraine, il y a eu une loi controversée mais utile, qui a interdit la télévision russe [il s’agissait en réalité d’une mesure du ministère de l’Intérieur. En 2021, Volodymyr Zelensky a interdit trois chaînes réputées prorusses]. Il y a eu des inquiétudes au sujet de la liberté d’expression. Mais si vous regardez la télévision russe, vous comprenez qu’il n’y a rien de journalistique, c’est de la propagande.

Quand la guerre a éclaté, la propagande s’est encore plus développée. Son objectif, c’était de nous démoraliser. Par exemple, il y avait de nombreux messages disant qu’une gare était minée. Les gens ont eu peur d’y aller. Ou bien, il y en avait sur des hélicoptères russes, disant que des parachutistes étaient déjà dans l’ouest de l’Ukraine. Et les gens se disaient « vraiment ? » Les gens avaient vraiment peur en lisant tous ces messages.

Des éléments de désinformation russe sont également relayés en France. Par exemple, est-il vrai que les russophones sont réprimés en Ukraine ?

Après l’interdiction de la télévision russe, la Russie a compris qu’elle avait des capacités d’influence limitées. La télévision ne peut plus atteindre un grand nombre de personnes âgées qui n’utilisent pas Internet. Les Russes ont ensuite lancé des fakes, par exemple que nous avons interdit la langue russe. C’est le précédent président ukrainien qui a vraiment développé la législation controversée [Les fonctionnaires, des personnalités au sommet de l’Etat et d’autres corps de métier devaient dorénavant utiliser l’ukrainien]. Cela a incité les gens à essayer de promouvoir la langue ukrainienne. Beaucoup l’ont accueillie favorablement, certains n’en étaient pas heureux. C’est un sujet extrêmement politisé qui a été utilisé pour diviser notre société et détruire notre image sur la scène internationale.

La langue est notre énorme traumatisme. L’ukrainien a été interdit au cours de l’histoire à de multiples reprises. Pendant l’Union soviétique, si vous parliez ukrainien, vous étiez juste un ignorant. Et si vous parliez russe, alors vous étiez cool. La langue ukrainienne a essayé d’obtenir l’égalité. 

La Russie a utilisé cette expérience historique très douloureuse pour nous diviser, pour nous influencer, pour détruire notre image, mais ensuite, quand ils ont essayé de promouvoir la culture russe, ils ont échoué, car la plupart des régions russophones sont détruites par la Russie en ce moment. La Russie a d’abord tué, occupé et détruit les régions russophones. Quoi que la Russie ait essayé de dire, cela a contribué à la promotion de la culture ukrainienne.

C’est l’opposé de ce que recherchait la Russie…

Oui, exactement. C’est la même chose avec l’OTAN, ils cherchaient à limiter son expansion et maintenant deux pays supplémentaires veulent la rejoindre. Il y a aussi eu cette question du cessez-le-feu [Moscou avait décrété un cessez-le-feu les 6 et 7 janvier pour le Noël orthodoxe]. Vous devez regarder ce que Poutine fait, pas ce qu’il dit. Il disait qu’il n’allait pas envahir l’Ukraine et ensuite il nous a envahis. Il disait qu’il venait pour nous défendre, puis il nous tue. Au sujet du cessez-le-feu, il faut juste regarder ce qu’il se passe sur le terrain, pas ce qu’il dit.

Vous avez repris votre travail de journaliste. Comment l’exercer alors que la guerre fait rage ?

C’est très douloureux et dangereux. Il y a eu des moments où j’ai eu de la chance parce que la Russie bombardait les villes où j’allais. C’est littéralement écrire avec les bombes et les explosions près de vos fenêtres. Il y avait beaucoup de sirènes à Kyiv. Cette ville était une forteresse, il n’y avait personne ici, pas de voitures, pas de commerces, pas de cafés. Rien, juste beaucoup de points de contrôle, des gens avec des armes, vous étiez contrôlés partout, parce qu’il y avait beaucoup de Russes. Tout le monde était suspecté.

Une fois, on est allés voir nos amis, et les Russes ont commencé à nous bombarder à deux heures du matin. C’était la seule maison qui n’était pas touchée. Les murs tremblaient, il n’y avait plus de lumière. On ne savait pas où s’enfuir, on est juste restés là, on ne pouvait rien faire d’autre. Quand ça s’est arrêté, on est allés dans l’abri anti-bombe. Quand j’en suis sortie, la forêt était en feu, les bâtiments étaient en feu, tout était en feu. Ils ont probablement pensé qu’il y avait des soldats et ils ont décidé de bombarder cet endroit. Ce n’est qu’une expérience parmi d’autres ; il y a tellement de gens qui sont sur la ligne de front dans le Donbass, à Kherson, à Zaporojie, ils ressentent cela tous les jours. La Russie bombarde huit régions chaque jour, et chaque semaine ou tous les dix jours ils bombardent l’Ukraine entière.