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Guerre en Ukraine : Pourquoi le mandat d’arrêt de la CPI contre Vladimir Poutine n’est pas que symbolique

Une décision « historique » aux yeux de Kiev. Mais « sans aucune valeur juridique », selon le Kremlin. Vendredi soir, la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé que Vladimir Poutine et sa commissaire présidentielle aux droits de l’enfant, Maria Alekseyevna Lvova-Belova, étaient visés par des mandats d’arrêts internationaux pour des crimes de guerre. En l’occurrence, la déportation d’enfants ukrainiens vers la Russie. Selon l’Ukraine, près de 16.000 mineurs auraient été enlevés depuis le début du conflit pour être placés dans des foyers ou familles russes. A Moscou, on ne nie pas ces déplacements de population – sans toutefois donner d’ordre de grandeur –, mais on assure qu’ils ont un but purement « humanitaire » de mise à l’abri.

Si ce n’est pas la première fois que la CPI vise un chef ou ex-chef d’État – à l’instar de Mouammar Khadafi ou Laurent Gbagbo –, jamais elle n’avait ciblé un chef d’État de cet acabit : à la tête d’une des principales puissances mondiales et membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU. « C’est un véritable tournant dans la politique pénale internationale, estime Sandrine de Sena, chercheuse associée au centre Thucydide de l’université Paris-Panthéon-Assas et ancienne membre d’une équipe de défense devant la CPI. D’habitude, on avait tendance à se concentrer sur les exécutants, là on vient chercher le plus haut responsable. C’est un message très fort. »

Une interpellation à court terme peu probable

Reste qu’en pratique, l’interpellation de Vladimir Poutine semble, à court terme, hautement improbable. Comme la Russie n’a pas adhéré au statut de Rome sur la Cour pénale internationale, son arrestation ne serait possible que s’il se rendait dans l’un des 123 pays membres. Difficile d’imaginer le dirigeant russe prendre un tel risque. Et ce d’autant que les principaux partenaires politiques et économiques de Moscou – la Chine, Cuba, l’Iran ou les anciennes républiques soviétiques… – n’en font eux-mêmes pas partie.

Même dans l’hypothèse où Vladimir Poutine se rendrait dans un des 123 pays en question, son interpellation ne serait pas automatique. Comme la Cour ne dispose pas de sa propre police, elle s’appuie sur celles des pays membres. « Théoriquement, les pays ont l’obligation d’arrêter les personnes sous mandat d’arrêt et de les remettre à la Cour mais il y a beaucoup de considérations, notamment politiques, qui peuvent jouer dans une telle décision », note Me Clémence Bectarte, avocate spécialisée en droit international.

Et de citer le cas de l’ancien président soudanais Omar el-Bechir, poursuivi depuis 2009 pour crimes de guerre et contre l’humanité au Darfour. Malgré le mandat d’arrêt émis à son encontre, il s’est rendu en Afrique du Sud et en Jordanie – pays ayant pourtant adhéré au Statut de Rome – sans être interpellé. En Afrique du Sud, par exemple, s’était posée la question de l’immunité diplomatique que lui conférait son statut de président. « Il est finalement reparti précipitamment du pays mais n’a pas été arrêté », poursuit l’avocate.

Un isolement sur la scène internationale

Pour autant, cette décision de la CPI est loin d’être anodine. « En faisant le choix de rendre ce mandat public alors qu’elle aurait très bien pu le garder secret, la Cour amoindrit ses chances de l’interpeller mais isole Vladimir Poutine sur la scène internationale », insiste Sandrine de Sena. Participer à certains sommets internationaux, à des événements sportifs ou culturels, lui sera impossible. L’Allemagne a déjà fait savoir qu’elle mettrait à exécution ce mandat d’arrêt, et la France a salué « une décision extrêmement importante ». L’Union européenne a, par ailleurs, apporté plus de 10 millions d’euros à la CPI depuis le début de l’invasion russe. Et la réaction très vive de Moscou, ce lundi, en annonçant l’ouverture d’une enquête pénale contre les magistrats de la Cour, est le signe que ce mandat est pris au sérieux.

Surtout, les acteurs mettent en avant le « temps long » de la justice internationale. « Les mandats d’arrêt internationaux n’ont pas de limite dans le temps, rappelle Me Clémence Bectarte. Il n’est pas rare que des années après, à la suite d’un renversement de régime, des personnes visées soient finalement interpellées. »

Certains dirigeants politiques, à l’instar des khmers rouges du Cambodge, ont été jugés près de vingt ans après leurs crimes. « La Cour a déjà renoncé à des poursuites dans des affaires dans lesquelles elle estimait que ses chances de succès étaient peu réalistes, insiste Sandrine de Sena. C’est, par exemple, le cas contre certains dirigeants afghans. A l’inverse, dans ce dossier, elle estime qu’elle a des éléments probants. » Le procureur de la CPI, Karim Khan, a notamment fait référence à des décrets signés de la main de Vladimir Poutine visant à favoriser les adoptions d’enfants ukrainiens et des déclarations publiques de sa commissaire aux droits de l’enfant sur ces déportations.