France

Guerre en Ukraine : « Mon cœur reste en Russie », confie Marina, réfugiée russe à Paris

«J’ai tellement donné et maintenant, je suis devenue indésirable en Russie… » Derrière son rire communicatif, les yeux espiègles de Marina* brillent de ce parcours d’exil forcé. L’artiste de 38 ans s’est réfugiée en France en mai 2023. Nous la rencontrons dans l’Espace Libertés | Reforum Space Paris, un lieu antiguerre conçu pour soutenir les Russes exilés.

Niché au fond d’une cour intérieure du 11e arrondissement de Paris, il a bien entamé sa mue en un an. En ce mercredi pluvieux, il fourmille de vie. Marina est la première réfugiée russe à accepter de nous raconter son histoire, dans le bureau du psychologue des lieux. On s’installe dans cette pièce sur deux chaises anormalement éloignées l’une de l’autre. D’instinct, Marina rapproche son fauteuil, tandis que derrière un rideau jaune pâle s’anime un atelier de soutien psychologique.

Un nom mi-russe, mi-ukrainien

« Je suis à moitié russe, à moitié ukrainienne. Mes deux grands-pères sont Ukrainiens », explique d’emblée Marina. Cette guerre « atroce », l’artiste était donc quelque part destinée à la vivre comme un déchirement. Jusque dans son nom. « Les noms de famille de mes parents sont les mêmes mais l’un est en russe, l’autre en ukrainien », rit-elle. Le discours de Marina est ponctué de rires gênés et d’instants où elle tire sur les manches de son pull rouge.

« La guerre est toujours une catastrophe », assène la chanteuse et musicienne. Piano, batterie, basse, guitare… La vie de Marina est remplie d’instruments et, face au trop-plein d’émotions après l’invasion russe en Ukraine, elle s’est plongée dans la création d’un album s’opposant à ce conflit. Elle connaissait toutefois les risques d’un tel projet artistique dans un pays où la liberté d’expression, déjà restreinte avant l’agression, s’est réduite comme peau de chagrin.

Le spectre de la prison politique

« J’avais peur d’être arrêtée et condamnée à de la prison. Je connais malheureusement beaucoup de gens qui ont été menacés, voire interpellés. Un ami a été condamné à vingt-cinq jours d’incarcération pour avoir manifesté contre la guerre. Mon copain connaît quelqu’un qui a dû fuir le pays après que la police a fait une perquisition chez lui. Il avait tagué un slogan pacifiste », explique Marina. Après nous avoir donné le nom du pays où cet ami s’est réfugié, l’artiste nous réécrira le soir même pour nous demander de ne pas le divulguer, de peur de compromettre sa sécurité.

De son côté, elle a « décidé de partir à la date exacte où [son] album sortirait », en mai 2023. A la recherche d’une porte de sortie, elle se met donc en lien avec l’association L’Atelier des artistes en exil, qui l’aide à préparer son dossier en France. Grâce à ces concerts dans toute l’Europe, Marina obtient des lettres de recommandation d’autres artistes. Et s’enfuit comme prévu le jour où ses chansons sont publiées sur des plateformes de grande écoute, avec son compagnon.

« Je me suis retrouvée seule ici »

Mais tout ne se passe pas comme prévu. « Mon copain a décidé de rentrer en Russie au bout de trois mois. On s’est séparés, c’était horrible. Je me suis retrouvée seule ici », se souvient Marina avec émotion. Derrière le rideau jaune, installé pour fournir un peu d’intimité à celles et ceux qui viennent se confier, des éclats de rire percent. Marina sourit et enchaîne dans un geste de la main : « Quand je suis arrivée, cet espace n’existait pas. Il était vraiment difficile de trouver des informations, des conseils, du soutien… »

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Depuis, la trentenaire a créé un trio musical avec une saxophoniste et une danseuse… ukrainienne. Elle donne aussi des cours de musique à de très jeunes enfants dans une école parisienne. « Ça a été très douloureux de quitter mon pays. En Russie, j’avais créé une ONG, j’ai fait beaucoup de choses pour la société civile russe », soupire-t-elle. Et de conclure dans un triste sourire : « J’aime la France, mais mon cœur reste en Russie, avec ma famille. »

*Le prénom a été modifié.