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Guerre en Ukraine : Mohammed ben Salmane et l’Arabie saoudite, de parias à piliers diplomatiques

«L’Arabie saoudite devrait être traitée comme un paria », avait asséné Joe Biden en novembre 2019, lors d’un débat pour la primaire démocrate. Six ans plus tard, le royaume et sa tête couronnée, le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS), semblent pourtant incontournables sur la scène diplomatique internationale. Preuve en est, les négociations sur la guerre en Ukraine qui se sont déroulées à Riyad, la capitale saoudienne.

Le pays semblait pourtant avoir touché le fond en 2018 lorsque, sur les ordres de MBS, le journaliste Jamal Khashoggi est torturé, assassiné et démembré dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, en Turquie. Mais depuis, « Mohammed ben Salmane a travaillé dur pour restaurer l’image de l’Arabie saoudite », explique Fawaz Gerges, politologue américano-libanais et spécialiste du Moyen-Orient. Alors que les Etats-Unis songeaient à son éviction, le prince héritier s’est depuis imposé comme l’artisan de la dédiabolisation de Riyad.

Un « soft power » considérable

MBS est parvenu à présenter son pays sous un jour nouveau, notamment au travers d’investissements massifs. Dès 2016, le jeune prince (pas encore au pouvoir) présentait son plan « Vision 2030 », dont l’objectif était de réduire la dépendance du royaume à son pétrole. Dans ce but, Mohammed ben Salmane a progressivement assoupli les lois conservatrices ayant cours – comme l’interdiction de conduire pour les femmes. « Le soft power a été l’arme la plus puissante de MBS. Il a investi des sommes considérables dans le sport, la musique, l’art et la technologie », explique Fawaz Gerges.

« L’Arabie saoudite est désormais l’une des destinations touristiques les plus prisées au monde. » D’après L’Echo touristique, un média pour les professionnels du tourisme, le royaume a accueilli 30 millions de touristes l’année dernière. Autant d’investissements qui ont permis à MBS de détourner l’attention des accusations de violations de droits humains qui lui sont faites. Il est notamment régulièrement accusé de réprimer violemment l’opposition mais aussi la liberté d’expression. Selon le baromètre 2024 sur la liberté de la presse de Reporter sans frontières, l’Arabie saoudite se classait au 166e rang sur 180.

« Le hard power a aussi été très utile à Mohammed ben Salmane. Il a dépensé des dizaines de milliards de dollars dans des armes, des biens et des services ainsi que des investissements au sein du système financier occidental », souligne Fawaz Gerges. De quoi attendrir ceux qui l’avaient isolé.

Le poids du pétrole et de la guerre

Riyad a aussi profité du contexte géopolitique avec l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022. « En juillet 2022, Joe Biden s’est empressé, en visitant Djeddah et en serrant la main à MBS, d’oublier ses accusations d’État paria en raison des problèmes de l’Europe à se ravitailler en gaz et pétrole russe », rappelle Fatiha Dazi-Héni, politologue, spécialiste des monarchies de la péninsule Arabique et chercheuse à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM). « Les Nations occidentales ont redécouvert le Moyen-Orient après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. L’Europe s’est particulièrement tournée vers l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis pour trouver des sources d’énergie alternatives », abonde Fawaz Gerges.

D’autant que l’Arabie saoudite n’hésite pas à s’appuyer sur son pétrole pour faire pencher la balance en sa faveur. Récemment, Riyad a poussé pour qu’un accord demandé par Donald Trump soit conclu entre les pays de l’OPEP +. A partir d’avril, ils produiront davantage de brut, une décision qui a permis une baisse des prix et a ravi le président américain.

Un « allié véritablement spectaculaire »

Mohammed ben Salmane profite aussi du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Car si Joe Biden avait finalement accepté de mettre ses réticences de côté face à l’urgence de ses intérêts énergétiques, Donald Trump n’a jamais cessé de saluer MBS. En 2018, alors même que la CIA concluait que le prince saoudien avait commandité l’assassinat de Jamal Khashoggi, le républicain saluait un « allié véritablement spectaculaire ». MBS est depuis resté l’interlocuteur préféré de Donald Trump au Moyen-Orient.

C’est donc particulièrement lui qui a décidé de faire de l’Arabie saoudite une place centrale de la diplomatie mondiale. Toutefois, « MBS a su diversifier les relations extérieures et les échanges commerciaux de l’Arabie saoudite avec les États-Unis, mais aussi avec la Chine, la Russie et l’Inde. Elle ambitionne de devenir non seulement une puissance régionale essentielle, mais aussi un acteur mondial », note Fawaz Gerges. Riyad a su se faire des alliés partout sur le globe et « les Occidentaux le considèrent comme fréquentable depuis belle lurette », assure Fatiha Dazi-Héni. Un avantage que compte bien entretenir MBS.