Guerre en Ukraine : « La stratégie du Kapla », jusqu’à combien de paquets de sanctions va-t-on aller contre la Russie ?

L’Union européenne et les Etats-Unis durcissent encore le ton face à l’escalade russe en Ukraine. Après le vote européen en faveur d’un nouveau train de sanction (le 17e depuis le début de la guerre), Washington menace de nouvelles restrictions économiques à l’encontre du Kremlin, qualifiées de potentiellement « dévastatrices » par le ministre français des Affaires étrangères.
Jean-Noël Barrot, qui rencontre ce jeudi le sénateur américain Lindsey Graham, travaille avec ce dernier sur « un paquet de sanctions extrêmement puissantes » capables de « prendre la Russie à la gorge ». Il s’agirait d’imposer des droits de douane de 500 % sur les importations de pétrole et de 500 % sur les pays qui aujourd’hui continuent d’importer ce pétrole. L’objectif clair est donc de s’attaquer aux hydrocarbures qui sont « le cœur de l’économie russe », souligne Carole Grimaud, chercheuse en sciences de l’information et de la communication à l’université Aix Marseille et spécialiste de la Russie.
Des effets sur le long terme
Face à la menace, agitée depuis plusieurs semaines par les Américains, Vladimir Poutine a déjà demandé à ses entreprises de tenir bon « affichant une certaine désinvolture », note Carole Grimaud. Pourtant, l’économie russe souffre des nombreux paquets de sanctions adoptés par les alliés de l’Ukraine dont les effets « s’accumulent dans le temps », appuie Nicu Popescu, chercheur membre du programme « European Power » du Conseil européen des relations étrangères (EFCR) et ancien ministre des Affaires étrangères de Moldavie. Le PIB de la Russie devrait ainsi subir une baisse significative en 2025 selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI).
« Les sanctions économiques n’ont jamais eu l’ambition d’arrêter des chars sur le terrain, c’est une stratégie sur le plus long terme », argumente Cyrille Bret. C’est une sorte de stratégie Kapla : une sanction seule ne suffit pas mais l’accumulation des sanctions, au fil des années, gagne en efficacité. « C’est comme les armes, une seule ne suffit pas à gagner la bataille mais plusieurs mises en ensemble oui », illustre Nicu Popescu. D’autant que le ralentissement de l’économie empêche indirectement l’armée russe de se consolider sur les équipements militaires ou technologiques « et réduit ainsi les risques d’une victoire russe sur le terrain », prévoit Nicu Popescu.
L’art de contourner les sanctions
Plusieurs Etats ont toutefois déjà prouvé qu’ils pouvaient résister malgré ces restrictions économiques et financières. C’est le cas de la Corée du Nord ou de l’Iran. D’autant que la Russie, visée par des sanctions européennes depuis 2014 et son annexion illégale de la Crimée, excelle dans l’art de les contourner. Elle s’est en effet tournée vers d’autres partenaires économiques pour vendre ses précieux hydrocarbures.
C’est dans le but de limiter son champ d’action que le plan américain dont parle Jean-Noël Barrot cherche aussi à s’en prendre aux Etats qui continuent d’importer ce pétrole russe. Pour que ces restrictions soient efficaces, « il faudrait la liste de tous les partenaires commerciaux de la Russie, mais à part la Chine, ils ne font probablement pas partie des Etats qui échangent avec les Etats-Unis », prévient alors Cyrille Bret qui évoque une menace avant tout « symbolique ».
La stratégie de l’escalade
Pourtant, à en croire le ministre français, ces nouvelles sanctions semblent particulièrement redoutables. Alors pourquoi avoir attendu plus de trois ans de guerre avant de les sortir du chapeau ? Cela permet de garder des leviers à disposition. Il ne serait pas efficace d’étaler toutes les sanctions d’un seul coup. « La stratégie adoptée consiste à appliquer ces sanctions au compte-goutte en les adaptant au comportement du Kremlin », explique Carole Grimaud.
Aujourd’hui, ces menaces servent à faire pression sur les négociations en cours en Turquie. « Pour les Européens, c’est une manière d’accentuer la pression au moment où ils essayent de revenir à la table des négociations », analyse Cyrille Bret. Le paquet voté par l’Union européenne a déjà permis de faire pression sur Moscou pour qu’il envoie une délégation à Ankara chargée de parler directement avec Kiev. Mais suffiront-elles pour un cessez-le-feu ? Elles servent surtout sur le long terme à espérer « un positionnement plus flexible » dans le cadre de négociations, « et si le Kremlin souhaite retrouver un marché financier à l’ouest, elle devra faire des concessions », développe Cyrille Bret.
Notre dossier sur la guerre en Ukraine
Pour le moment, tant que la Russie mènera une politique d’escalade dans les combats, de nouvelles sanctions pourront être adoptées. Jusqu’à un certain point. « La possibilité d’imposer des sanctions s’arrête quand il n’y a plus les échanges commerciaux et financiers sont taris car on ne peut pas sanctionner un pays avec lequel on n’échange pas », rappelle Cyrille Bret.