France

Guerre en Ukraine : La France bureaucratique envie l’agilité et les drones ukrainiens

La guerre, révélatrice de lacunes et terrain d’innovation. Militaires et experts s’accordent à dire qu’en temps de guerre, tout est plus facile, simple, rapide. Et que l’urgence dans laquelle se trouve une nation en guerre encourage les innovations, dont beaucoup s’inspireront ensuite dans un « processus normal de retour d’expérience », reconnaît Vincent Desportes, ancien militaire, professeur de stratégie Sciences po Paris. C’est ainsi que les forces armées françaises observent de près ce qui se passe en Ukraine, notamment l’usage intensif des drones de tous types. Le constat est clair, on est en retard.

Nous en avions parlé récemment dans 20 Minutes, les soldats ukrainiens font un usage fréquent et peu orthodoxe des drones de loisirs sur le terrain pour mener à bien des missions d’observation ou d’attaque. Un détournement à grand renfort de « bidouille » qui pourrait sembler anecdotique, sauf qu’en pratique, l’intérêt militaire n’est pas anodin : « La présence de nombreux drones sur les lignes de front a un effet psychologique important sur l’ennemi qui ne se sent en sécurité nulle part », assure le lieutenant-colonel Pierre-Yves du bureau programme et systèmes d’armes de l’État-major de l’armée de terre française. « C’est aussi efficace en ce sens que la simple présence de ces appareils est contraignante, obligeant les Russes à prendre cette menace en compte en déployant des capacités de brouillage », ajoute-t-il. Apprendre à se méfier des drones, c’est un point qui, désormais, est en train de se généraliser dans la formation des soldats français.

« La transparence du champ de bataille »

Pour autant, ce n’est pas le conflit ukrainien qui a fait découvrir cette menace aux militaires français. Le cas le plus édifiant remonte à 2008, lors d’une opération de soldats français engagés dans la force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) en Afghanistan. « Il y a eu cette embuscade des Talibans dans la vallée d’Uzbin au cours de laquelle 21 militaires français ont été tués », rappelle Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine, historien et stratège. « A l’époque, tout le monde s’est demandé pourquoi on n’avait pas utilisé des drones pour aller regarder ce qu’il y avait sur le pôle dans lequel on est tombé en embuscade », se souvient-il.

« C’est un des effets positifs que l’on observe de l’utilisation des drones civils en Ukraine : la transparence du champ de bataille », reconnaît le Lt-colonel Pierre-Yves. C’est ainsi que l’armée française a acquis de nombreux drones civils à des fins d’instruction : « Toutes nos unités doivent apprendre à se servir de drones dans la mise en œuvre de la tactique à adopter, poursuit-il. Par exemple, le capitaine, avant d’investir un village, il envoie son drone pour observer les entrées du village, repérer l’ennemi et ça lui permet de mettre en place sa manœuvre ».

Des « drones kamikazes » achetés en urgence

Outre l’intérêt des drones civils, les soldats ukrainiens ont aussi très vite éprouvé l’efficacité des drones dits « kamikazes ». Là encore, c’est parti de bidouilles, lorsque les Ukrainiens fixaient des charges explosives sur des drones à l’aide de systèmes de fortune pour les lancer ensuite sur des blindés, dans des tranchées ou sur des avions au parking. On en a vu récemment la démonstration, lorsqu’une unité ukrainienne a pu rendre inopérant un avion de reconnaissance russe en faisant exploser un petit drone FPV au-dessus de son radar. L’armée de Volodymyr Zelensky est néanmoins montée en gamme avec l’acquisition de plusieurs centaines de Switchblade 300, du fabricant américain AeroVironment.

Les avantages de ces « munitions téléopérées » par rapport à un missile sont multiples : pouvoir choisir sa cible une fois en l’air, avorter une attaque si besoin, leur extrême portabilité… « Ça, on n’en a pas parce qu’en en voyait pas l’intérêt. Mais c’est un vrai manque que l’on va tâcher de réparer rapidement après avoir constaté leur efficacité en Ukraine », concède l’officier d’État-major. A tel point qu’un achat en urgence de 72 Switchbalde 300 a été lancé pour former les forces spéciales françaises à ce type d’armement.

Un retard à combler d’ici 2030

Selon l’historien et stratège Michel Goya, la guerre a donc fait passer l’armée ukrainienne de novice à précurseur sur l’utilisation des drones. Ce qui est encore loin d’être le cas en France. « Cette guerre nous a permis de prendre encore un peu plus conscience du retard que l’on a ici. Les drones, c’est le symptôme des problèmes que l’on rencontre avec les industriels militaires qui poussent vers le haut de gamme onéreux au lieu d’aller vers le low cost », estime-t-il.

L’autre souci, c’est le poids de l’administration et des procédures. Quand les forces spéciales obtiennent plus facilement des dérogations pour s’équiper et expérimenter, les acquisitions de nouveaux matériels en masse passent par des procédures beaucoup plus lourdes : « Pour les drones, il faut définir les besoins, définir les budgets, lancer des appels d’offres. Oui, cela peut prendre quelques années », confirme le Lt-colonel Pierre-Yves. C’est dans ce sens que tend à aller la nouvelle loi de programmation militaire : « La France va s’engager plus franchement sur des domaines comme le cyber, le spatial, le renseignement, la défense sol-air de nouvelle génération et les drones », a confirmé Sébastien Lecornu, ministre des armées, en janvier dernier. Pour la période 2024-2030, « ces seuls thèmes représentent plusieurs dizaines de milliards d’euros », a-t-il ajouté.