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Guerre en Ukraine : La défense antiaérienne de Kiev est-elle en train de flancher ?

C’est l’une des attaques nocturnes les plus brutales depuis le début de la guerre en Ukraine. Le ciel du pays a été traversé de 598 drones et 31 missiles balistiques et de croisière russes, un assaut massif et particulièrement sanglant. Au moins 17 personnes sont mortes à Kiev, dont quatre enfants dans un bilan qui pourrait tragiquement s’alourdir encore. Ces derniers mois, la capitale ukrainienne semble fléchir sous le poids des bombes nocturnes. « Kiev bénéficiait d’une forme de bouclier aérien depuis le début de la guerre. La capitale était traditionnellement peu touchée par les bombardements russes », remarque Carole Grimaud, spécialiste du conflit.

Mais « la défense antiaérienne ukrainienne souffre clairement de lacunes, sinon on n’aurait pas un tel bilan », assène le général Vincent Desportes. Progressivement, les missiles russes sont de plus en plus nombreux à passer entre les mailles du filet. Dès mai 2024, le Wall Street Journal notait que l’armée ukrainienne abattait une proportion plus faible de missiles russes qu’au début de la guerre. L’Ukraine interceptait alors environ 46 % des missiles russes, contre 73 % au cours du semestre précédent. Le journal américain notait une massification des attaques de drones, le recours à des missiles plus difficiles à abattre ainsi qu’un épuisement en munitions.

Des frappes « de plus en plus violentes »

La première raison de ce dramatique bilan réside en effet dans l’intensité de l’attaque. Avec 598 drones et 31 missiles balistiques et de croisière, elle a été bien plus intense que les quelque 300 drones et 8 missiles lancés fin juillet, qui ont pourtant tué 31 personnes. « Les attaques contre Kiev sont de plus en plus violentes et ce sont les civils qui en payent le prix », regrette Carole Grimaud. Au moins 13.883 civils ont été tués depuis le début de l’invasion russe en Ukraine et ces estimations pourraient être particulièrement en deçà de la réalité.

Confrontées à une massification des bombardements, « les autorités ukrainiennes doivent aussi faire des choix, souligne Vincent Desportes. Les Russes tapent de plus en plus en profondeur, parfois quasiment à la frontière polonaise. Des villes épargnées jusque-là deviennent des cibles et la défense a peut-être été mieux répartie, entraînant mécaniquement un affaiblissement de la défense de Kiev. » D’autant que la réserve de batteries de missiles Patriot s’avère particulièrement restreinte.

Une production exponentielle

L’Ukraine possède au moins six batteries de missiles Patriot, essentiels à la défense de son espace aérien. C’est insuffisant pour protéger tout le pays, d’autant que les munitions coûtent extrêmement cher. Chaque intercepteur Patriot (missile) coûte 4 millions de dollars. Et la situation n’est pas près de s’arranger. D’après le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, la Russie produit en trois mois autant de munitions que l’ensemble de l’Otan en un an.

« Le nombre de missiles et de drones russes augmente chaque jour. Leurs usines, situées en profondeur sur le territoire russe, peuvent tourner à plein régime sans risquer d’être frappée [les Occidentaux interdisent en effet à l’Ukraine de frapper trop en profondeur avec leurs armes]. Plus le temps va avancer, plus le déséquilibre va s’accentuer si rien ne change », présage Vincent Desportes.

Des files d’attente longues de plusieurs années

En août, Berlin a annoncé la livraison imminente de deux batteries de missiles Patriot supplémentaires à l’Ukraine, dans le cadre d’un accord avec les Etats-Unis. Mais le processus est de plus en plus long. « La Roumanie, qui a commandé un système Patriot, est sur une liste d’attente d’une décennie ! En attendant, l’Ukraine paye de plus en plus cher ces attaques », regrette Carole Grimaud.

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Elle note qu’alors qu’une rencontre devait être organisée dans le cadre des pourparlers de paix, le sommet en Alaska entre Donald Trump et Vladimir Poutine prend des airs de « grand show » qui n’a « mené à rien ». Une analyse partagée par Vincent Desportes : « Vladimir Poutine n’a aucune intention de faire la paix. Il gagne du temps et espère bien faire briser la défense et le moral ukrainiens avant que la Russie ne soit trop en difficulté économique. » Une stratégie qui risque d’endeuiller encore et encore la capitale ukrainienne.