Guerre en Ukraine : Kastous-Kalinowski, un régiment biélorusse entre « romantisme » et « paranoïa »

Dans les tranchées de l’Ukraine, le régiment Kastous-Kalinowski brandit fièrement l’étendard de l’opposition biélorusse. Formée dès le début de la guerre, cette unité militaire est exclusivement constituée de Biélorusses et se bat aux côtés des Ukrainiens. Un pied de nez au régime d’Alexandre Loukachenko, l’un des plus proches alliés de Vladimir Poutine. En février 2022, lors de l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine, le président biélorusse a été jusqu’à ouvrir les portes de son territoire au Kremlin afin de faciliter son attaque surprise.
« Ce régiment est important pour l’image du Bélarus en Ukraine. Ce n’est pas le seul, mais c’est le plus structuré et le plus médiatisé », explique Alice Syrakhvash. La coprésidente de l’association Communauté des Bélarusses à Paris et de l’initiative Les Ambassades du Peuple Bélarus estiment qu’ils comptent environ 2.000 soldats. « Il est très difficile de déterminer leur nombre exact », souligne Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l’université Rennes-2. L’auteur de La guerre en tête (ed. Puf, 2024) rappelle que, même en dehors du régiment Kalinowski, de nombreux Biélorusses ont rejoint les rangs ukrainiens.
« L’espoir fou » de renverser Loukachenko
« Il y a une part de culpabilité parce que le conflit est parti de chez nous », avance Alice Syrakhvash, elle-même biélorusse et dont le frère cadet a rejoint le régiment. Mais les Biélorusses qui ont pris les armes pour défendre leurs « frères » ukrainiens espéraient aussi opérer un changement jusque chez eux. Le journaliste biélorusse Alexander Klaskovsky va jusqu’à affirmer, dans les colonnes du site d’information Voxeurop, que si la Russie échoue en Ukraine, le régime de Loukachenko tombera « vraisemblablement ».
« Nombre d’entre eux se sont politisés en 2021 [lors des manifestations massives contre le président bélarusse Alexandre Loukachenko], c’est le moment où leur vie a changé », explique Romain Huët. Alors, « lorsque la guerre éclate en Ukraine, il y a une forme d’enthousiasme. Beaucoup se disent « on va combattre au côté des Ukrainiens, on va protéger l’Ukraine, puis on retournera au Bélarus pour faire tomber Loukachenko ». Eux-mêmes en conviennent : il y avait une forme de naïveté, d’innocence, d’espoir fou », glisse celui qui a interrogé plusieurs Biélorusses s’étant engagés dans l’armée ukrainienne. « La plupart sont là pour apprendre à se servir des armes dans l’espoir – je ne sais pas à quel point il est romantique ou pas – de rentrer au Bélarus pour faire tomber le régime », abonde Alice Syrakhvash.
Entre « gueule de bois » et « dextérité » au combat
Après trois ans de guerre et « cinq ans depuis la révolution avortée, tout le monde n’a pas gardé cet espoir. Certains ont créé des camps d’entraînement militaires en Lituanie. Mais les espoirs se fanent avec le temps », souligne Alice Syrakhvash. Romain Huët évoque une situation « paradoxale ». D’un côté, les Biélorusses ressentent une « forme de fierté parce que la population est massivement contre la guerre en Ukraine, ce qui interdit à Loukachenko d’envoyer des troupes officielles ». De l’autre, « beaucoup ont espéré en 2021, puis en 2022, et ont aujourd’hui la gueule de bois et la sensation qu’il ne passe plus grand-chose ».
Reste que ces dissidents biélorusses redorent le blason de leur peuple en Ukraine. « La présence du régiment Kalinowski et le sacrifice réel de ces hommes sont reconnus en Ukraine. Quand j’étais dans le Donbass en 2023, des soldats m’ont interpellée : « Ah mais les Bélarusses, c’est les plus fous ! » Leur dextérité et leurs compétences sont reconnues », assure Alice Syrakhvash, qui estime qu’« en matière militaire, ce qui compte le plus, c’est le terrain ».
Une paranoïa « omniprésente »
Malgré ses lettres de noblesse militaires, le régiment Kalinowski souffre d’un climat de paranoïa. « Dans la guerre, la suspicion est toujours présente, assure Romain Huët. Mais chez les Bélarusses ayant combattu en Ukraine, c’est particulièrement fort. Ils subissent des pressions vis-à-vis de leur famille, des appels du KGB [biélorusse, il a gardé le même nom que le KGB soviétique auquel il a succédé en 1991] pour négocier leur retour ou menacer leur famille, c’est omniprésent. »
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De peur que des espions biélorusses n’infiltrent leur rang, « tous les combattants du régiment passent au détecteur de mensonges, parfois plusieurs fois avant d’intégrer l’armée ukrainienne », explique Alice Syrakhvash. Après avoir passé du temps « jour et nuit » avec certains d’entre eux, Romain Huët a fait l’expérience de ce climat de suspicion. « A mon retour, quelques semaines plus tard, ils ont refusé de me parler, persuadés désormais que j’étais du KGB. » Sollicité, le régiment Kastous-Kalinowski n’a pas répondu à nos demandes d’interview, sans doute pour cette même raison.