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Guerre en Ukraine : Kaliningrad, surveillée comme le lait sur le feu

Le 19 septembre dernier, trois avions de chasse russes Mig-31 ont pénétré dans l’espace aérien de l’Estonie, lors d’une liaison entre Petrozavodsk et Kaliningrad. Selon Carole Grimaud Potter, le port de Kaliningrad est devenu « encore plus stratégique depuis que la Finlande et la Suède sont entrées dans l’Otan ».


Le 19 septembre dernier, trois avions de chasse russes Mig-31 ont survolé la mer Baltique et ont pénétré dans l’espace aérien de l’Estonie lors d’une liaison entre Petrozavodsk, dans le nord-ouest de la Russie, et Kaliningrad. L’Otan a réagi immédiatement en faisant décoller des F-35 italiens basés à Ämari, en Estonie, pour intercepter les chasseurs russes.

Ce n’est pas la première fois qu’un incident aérien survient lors d’une liaison aérienne avec Kaliningrad, exclave russe bordée par la Lituanie et la Pologne, complètement séparée du reste de la Russie.

### Les liaisons entre Kaliningrad et la Russie, sources de tensions

Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’aviation russe ne peut plus survoler la Lituanie et la Pologne, et dispose uniquement d’un étroit corridor aérien au-dessus de la mer Baltique pour relier Kaliningrad. Ce corridor borde les espaces aériens des pays baltes d’une part, et de la Suède, de la Finlande et du Danemark de l’autre, tous membres de l’Otan.

« Le 19 septembre, les avions russes n’ont pas utilisé ce couloir et ont violé l’espace aérien de l’Estonie », a précisé Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques) et ancien ambassadeur de France à Moscou, auteur de *Géopolitique de la Russie* (Eyrolles).

Les liaisons entre Kaliningrad, souvent qualifiée de « confetti russe », et le reste de la Russie, sont régulièrement sources de tensions avec l’Europe. Au début de la guerre en Ukraine, la Lituanie avait envisagé des sanctions pour limiter le transit ferroviaire de certaines marchandises vers Kaliningrad. « Ces liaisons sont nécessaires à la survie du territoire, et l’Union européenne a exercé des pressions sur la Lituanie pour que la Russie conserve cet accès territorial », rappelle Carole Grimaud Potter, professeure de géopolitique à l’université de Montpellier et spécialiste de la Russie, auteur de *Les étudiants face à la guerre russe en Ukraine* (L’Harmattan).

### Missiles Iskander « porteurs potentiellement de l’arme nucléaire »

Anciennement connue sous le nom de Königsberg, cette ville était la capitale de la Prusse-Orientale avant son annexion par l’URSS après la Seconde Guerre mondiale. Après l’indépendance des trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) en 1991, Kaliningrad s’est retrouvée enclavée entre la Pologne au sud et la Lituanie au nord et à l’est. La région côtière de la mer Baltique a été divisée, et en 2022, la guerre en Ukraine a renforcé les frontières dans la région, compliquant les échanges entre Kaliningrad et les autres pays, même s’ils continuent.

Cette région, l’un des 89 oblasts de la fédération russe, est perçue par les pays de l’Otan comme un avant-poste de la puissance militaire russe, surtout depuis le déploiement de missiles Iskander, susceptibles de porter des armes nucléaires. Depuis 2018, Kaliningrad abrite en effet des missiles Iskander, capables d’atteindre une portée d’environ 500 km et de transporter des charges conventionnelles ou nucléaires.

### « Fenêtre sur la Baltique »

Le port de Kaliningrad abrite la flotte russe de la mer Baltique, qui protège Saint-Pétersbourg et Mourmansk. Il est devenu encore plus stratégique depuis l’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’Otan, perçue comme une menace supplémentaire pour les frontières russes. Kaliningrad joue ainsi le rôle de tête de pont pour la protection du nord-ouest de la Russie.

« Pour les Européens, cela constitue évidemment une menace, car les missiles tirés depuis Kaliningrad mettraient moins de temps à atteindre leurs cibles vitales », confirme Jean de Gliniasty. En parallèle, ce territoire suscite également un fort sentiment de vulnérabilité côté russe, puisqu’il est enclavé par des pays bien armés, notamment la Pologne. La Russie redoute un éventuel blocus qui pourrait affaiblir ses installations militaires. Ce territoire demeure l’un de ses rares accès à la mer Baltique, Saint-Pétersbourg étant situé au fond du golfe de Finlande. Ainsi, en cas de conflit, « Kaliningrad serait plutôt une zone à défendre qu’une zone d’attaque », estime l’ancien ambassadeur.

### La question du corridor de Suwalki

Les inquiétudes se concentrent également sur le corridor de Suwalki, une bande de terre de 65 km le long de la frontière entre la Pologne et la Lituanie, pouvant assurer une liaison territoriale entre Kaliningrad et la Biélorussie. Ce couloir est perçu comme un talon d’Achille pour l’Europe en cas de conflit avec la Russie. « La Russie pourrait être tentée d’en prendre le contrôle pour maintenir la continuité territoriale avec Kaliningrad, ce qui nuirait à la Pologne et à la Lituanie », souligne Jean de Gliniasty.

Une prise de contrôle du corridor de Suwalki par la Russie isolerait également les trois États baltes du reste du territoire de l’Otan. « D’où l’importance stratégique de l’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’Otan, permettant d’assurer le ravitaillement de ces pays via la mer Baltique », souligne Carole Grimaud Potter.

La situation de Kaliningrad, bien qu’enclavée, mais offrant une ouverture sur la mer Baltique à la Russie, est donc « surveillée de près par tous les acteurs, tant ce territoire pourrait être la cause d’une escalade » selon Jean de Gliniasty.