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Guerre en Ukraine : Fuyant les bombes, les réfugiés n’arrivent pas à « s’habituer au calme » de Kiev

De notre envoyée spéciale à Kiev,

« J’ai plein de jeux sur mon téléphone », s’exclame joyeusement Vitali. Le petit garçon de sept ans s’assoit sur un pouf coloré de la salle de jeux où quelques enfants s’amusent. De petites traces de mains chamarrées décorent l’un des murs. Ce centre pour réfugiés ouvert par l’association Save Ukraine à Kiev accueille quarante-trois familles. Il est surnommé « Hope and recovery center », le « centre de l’espoir et du rétablissement ». Dans sa brutalité, la guerre a détruit une myriade de foyers, emportant les maisons d’enfance. Remplacées, pour les plus chanceux, par des salles de jeux partagées. L’invasion russe a déplacé cinq millions d’Ukrainiens au sein du pays, comme Vitali et sa grand-mère. Assise au bord de son lit superposé, Natasha tort ses mains noueuses.

C’est la deuxième fois que la sexagénaire et son petit-fils sont obligés de fuir. Au début de la guerre, la famille a vécu sous occupation russe mais « lorsque l’Ukraine a repris la région de Kherson, les bombardements ont été plus forts, plus fréquents et plus dangereux », se souvient-elle. Alors la grand-mère et son petit-fils ont fui à soixante-dix kilomètres de là, dans le village de Chkalove. « Nous sommes partis à vélo tous les deux », explique-t-elle dans un éclat de rire. Pour une nouvelle vie qui n’a duré que quelques mois. Natasha et Vitali ont été à nouveau évacués par Save Ukraine et sont arrivés dans le centre le 15 mars. « Notre rôle principal, c’est d’évacuer les civils des zones de combat », explique Mykola Kuleba, le directeur de Save Ukraine.

« Ma vie vaut plus cher que ma maison »

Car les civils paient, eux aussi, un lourd tribut. Au moins 8.000 d’entre eux ont été tués depuis le début de la guerre, selon le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits humains, Volker Türk, qui affirme qu’il ne s’agit que de « la partie émergée de l’iceberg ». Les familles réfugiées dans le centre parlent toutes des bombardements aveugles de l’armée russe. Olena partage une chambre avec ses deux fils de 8 et 13 ans et une autre famille. Ils étaient voisins à Droujkivka, une ville située à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Bakhmout, épicentre des combats. Les bombardements étaient quotidiens. Natasha ne peut pas « s’habituer au calme » de Kiev. Olena, elle, refuse de penser à ce tumulte qui rythmait leurs journées. « Je ne veux pas me souvenir », souffle-t-elle. Elle explique, en passant affectueusement la main dans les cheveux de son fils adolescent, que son mari est resté là-bas, dans leur maison.

Olena avec ses deux fils Rouslan,13 ans, et Rostyslav, 8 ans, sont arrivés dans le centre le 8 février, d'un village de l'oblast de Donetsk.
Olena avec ses deux fils Rouslan,13 ans, et Rostyslav, 8 ans, sont arrivés dans le centre le 8 février, d’un village de l’oblast de Donetsk. – D. Regny

De l’autre côté de la chambre, deux enfants roux jouent joyeusement sous l’œil protecteur de leur mère, Alona. « C’est calme ici, c’est le plus important », souffle la jeune femme. Son mari, Andriy, les a rejoints il y a deux semaines. « L’un de mes collègues a été tué par des éclats d’obus alors que l’on se déplaçait les uns derrière les autres », explique cet agriculteur, qui montre des vidéos de l’impact et du véhicule où son confrère a perdu la vie. « Ma vie vaut plus cher que ma maison », lance fermement Andriy en regardant avec tendresse ses enfants. L’homme veut trouver un travail à Kiev. « Ça n’a pas de sens de rentrer, c’est beaucoup trop dangereux. Surtout avec des enfants. »

« Tout est miné là-bas »

« On avait peur de sortir de chez nous », abondent Sasha et Viktoria. Le couple et ses cinq enfants vivaient à Chervonyi Mayak, dans l’oblast de Kherson. Leur maison n’est séparée des territoires occupés par les Russes que par le Dniepr. Les bombardements étaient incessants. « Il y avait une vingtaine de frappes quotidiennes. Un jour, j’en ai compté 32 », se remémore Viktoria, qui attend un sixième enfant. A quelques kilomètres seulement du front, la famille a été privée d’électricité pendant cinq mois. « On se chauffait avec un poêle mais nous ne pouvions pas aller chercher du bois dans la forêt parce que tout est miné là-bas, explique le couple. Une famille de notre village a roulé sur une mine, les parents et les deux enfants sont morts. »

Les souvenirs épouvantables se détachent dans la sérénité du centre. Un bombardement devant l’église alors qu’ils venaient de passer le seuil de la porte. Leur fille de deux ans et demi bute sur mon pied avec des gazouillis, portée par sa voiturette pour enfant. Un bombardement lors d’une distribution humanitaire de la Croix-Rouge. Nouvel impact de la voiturette, nouveau rire d’enfant. Un voisin qui a reçu un éclat d’obus dans la tête et qui a survécu par miracle. Sasha attrape la voiturette et tente de diriger la tête blonde vers une nouvelle cible. Cinq personnes qui ont été décimées alors qu’elles se rendaient au garde-manger. La fillette roule vers moi avec un rire innocent.

Eclaircir un « avenir flou »

Les murs du centre de Kiev Ukraine abritent de nombreux enfants. C’est pour eux, souvent, que ces survivants fuient les bombes. Dans la chambre voisine, Natasha, a la garde de Vitali depuis la mort de ses parents il y a cinq ans. Elle finit l’entretien en larmes, terrifiée pour l’avenir de ce petit garçon sur lequel elle essaie désespérément de veiller. Aleksandre a quitté Droujkivka, une ville de l’oblast de Donetsk, au sud de Kramatorsk, début mars. « Je suis parti pour ma famille, pour mes enfants », explique le père de famille qui ajoute que le front « s’approchait petit à petit ». Le trentenaire, grand et imposant, laisse ses bras couverts de tatouages reposer sur ses genoux tandis qu’il essaie d’esquisser un futur. « L’avenir, c’est flou », soupire-t-il. Pour l’éclaircir, Save Ukraine accompagne les bénéficiaires tout au long du processus. Au centre « Hope and rehabilitation », les familles restent entre deux et cinq mois.

« Pour que les gens aient les moyens de partir, ils sont accompagnés dans leur recherche d’un travail, d’un logement mais aussi pour les papiers. On les aide par exemple à obtenir une aide du gouvernement pour les personnes déplacées », détaille la directrice du centre. « Avec ce programme, nous aidons les survivants à obtenir un logement à long terme », souligne Mykola Kuleba. Et l’association compte bien continuer à soutenir les civils déracinés par l’invasion russe. « Un nouveau centre va voir le jour dans une semaine et un autre encore en avril. Nous avons besoin de plus de places », explique l’ancien représentant de la présidence pour les droits des enfants. Dans l’espoir que ceux qui « n’ont nulle part où aller » trouvent en Save Ukraine un foyer temporaire. Et la promesse d’un avenir plus calme.