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Guerre en Ukraine : Des diamants russes malgré les sanctions.

Environ 25 à 30 % de la production mondiale de diamants bruts provient de Russie. En décembre 2023, l’Union européenne a adopté des sanctions excluant les diamants russes de son marché, effectives à partir du 1er janvier 2024.


« Oui, oui, mille fois oui ! Mais… Ce diamant vient-il de Russie ? » Une telle question n’a probablement jamais été posée tout au long de l’histoire des demandes en mariage associées à une bague de fiançailles ornée d’un solitaire. Si le diamant demeure la norme sur le marché des bagues de mariage, son origine peut parfois s’avérer mystérieuse. La pierre, symbole occidental de l’amour éternel, pourrait en effet avoir parcouru le globe afin d’échapper aux sanctions imposées aux joyaux russes.

« Aujourd’hui encore, il est possible qu’un consommateur européen achète un diamant russe sans le savoir », affirme Gwennhaëlle Barral, avocate aux barreaux de Paris et de Luxembourg, et autrice de l’article intitulé Gel des avoirs et sanctions internationales sur les diamants : une mesure à forte valeur ajoutée ? (Culture compliance). C’est d’ailleurs ce qu’indique l’enquête menée par l’ONG russe Arctida, qui stipule que les diamants russes continuent d’affluer vers l’Europe et les États-Unis.

Suite à l’invasion de l’Ukraine, les États-Unis et l’Union européenne ont instauré des sanctions visant à empêcher Moscou de financer son effort de guerre grâce à ses diamants. La Russie, en effet, est un acteur majeur de ce secteur. « La Russie représente un acteur particulièrement important sur le marché des diamants, en particulier dans l’extraction. Environ 25 à 30 % de la production mondiale de diamants bruts provient de Russie », précise Avi Kravitz, consultant et analyste expert en commerce international des diamants. Avant l’instauration des sanctions, les exportations de diamants bruts vers l’Europe rapportaient près de 2 milliards d’euros par an à la Russie.

Des sanctions éparses

Ces montants colossaux n’ont pas immédiatement été ciblés par les sanctions occidentales, notamment à cause des réticences belges. Anvers est en effet l’une des principales plaques tournantes du diamant à l’échelle mondiale. En décembre 2023, l’Union européenne a finalement adopté des sanctions excluant les diamants russes de son marché, en collaboration avec le G7. Cette mesure ne sera effective qu’à partir du 1er janvier 2024. Cela représente un coup dur pour la Russie, alors que « le marché du G7 génère environ les deux tiers de la demande mondiale de bijoux en diamants », souligne Avi Kravitz.

Malgré une réponse rapide des États-Unis, qui ont sanctionné la plus grande entreprise diamantaire russe (Alrosa) le jour même de l’invasion de l’Ukraine, « il n’y a pas d’uniformisation au niveau international et le sujet de la traçabilité a été repoussé à plusieurs reprises », note Gwennhaëlle Barral. Le G7 avait prévu de mettre en place un système de suivi de l’origine des diamants bruts, prévu pour le 1er septembre 2024. Cependant, cette date a sans cesse été reportée, et l’UE évoque désormais… janvier 2026.

De la Russie à Dubaï en passant par l’Arménie

Au milieu de ces atermoiements, la Russie a développé des contournements particulièrement efficaces. « De nombreux pays ne font pas partie du G7 et ont donc le droit d’importer des diamants de Russie pour les revendre ensuite sur le marché indien ou chinois, par exemple. La question demeure : comment empêcher ces diamants d’entrer sur les marchés européens ou américains ? », explique Avi Kravitz.

Dans une économie mondialisée, le diamant peut rapidement transiter d’un pays à l’autre et se retrouver étiqueté parmi un lot de « provenance mixte ». « La Russie envoie des diamants en Inde pour y être taillés et revendus. Dubaï constitue également une plateforme d’échange, et il est indéniable que certains diamants originaire de Dubaï sont en réalité de Russie », confirme Gwennhaëlle Barral. Moscou utilise aussi l’Arménie, d’où près de la moitié des diamants importés proviennent de Russie. Ce pays, qui extrait très peu de pierres lui-même, sert de plate-forme de transit pour réintégrer plus discrètement les diamants russes sur le marché mondial.

Les « diamants de sang » de Kimberley

« Historiquement, les diamants ont toujours beaucoup changé de mains avant d’arriver au bijoutier. Ces petites marchandises, facilement transportables et de grande valeur, constituent un attrait pour des individus malintentionnés », note Avi Kravitz. C’est la raison pour laquelle le Processus de Kimberley a été instauré en 2003. Chaque lot de diamants bruts doit être accompagné d’un certificat pour éviter qu’ils ne proviennent de zones de conflit, connus sous le nom de « diamants de sang ». Toutefois, la Russie n’est pas concernée par ce processus, son territoire n’étant pas directement désigné comme une zone de conflit, même si son marché des diamants contribue vraisemblablement au financement de l’invasion de l’Ukraine.

À Washington comme à Paris, il est donc possible d’acheter, sans en être conscient, un diamant d’origine russe. D’autant plus que « la plupart des marques de bijouterie mettent davantage en avant la qualité certifiée de leurs diamants plutôt qu’une dimension éthique », affirme Gwennhaëlle Barral. Cependant, il existe une réelle « prise de conscience » parmi les acteurs du secteur, selon Avi Kravitz. « Les bijoutiers ont de plus en plus tendance à retracer l’histoire de leurs pierres, de leur provenance géologique jusqu’à leur extraction, tout en soulignant les impacts positifs de ce marché pour leur pays d’origine. » Un parcours parfois jonché de détours discrets.