Guerre en Ukraine : C’est quoi la tactique russe du « hachoir à viande » qui vient à bout des forces ukrainiennes ?
«On perd du terrain face à de la chair à canon. » Interrogé par l’AFP, l’officier ukrainien « Goth » est amer. Mobilisé sur le front, il assure être stressé : ses hommes meurent en cédant du terrain aux soldats russes, qui vague après vague déferlent dans la zone de la région de Donetsk.
Là, non loin de Kourakhové, l’ennemi ne cesse d’avancer grâce à la méthode qualifiée de « hachoir à viande » par Evguéni Prigojine, le chef de la milice russe Wagner. Cette dernière avait déjà été utilisée dans les assauts de Bakhmout et d’Avdiïvka, villes de l’est de l’Ukraine, rasées de la carte en 2023 et début 2024. Les pertes massives à Bakhmout étaient d’ailleurs l’une des causes de la mutinerie de Prigojine en juin 2023.
53 hommes par kilomètre carré de territoire saisi
Selon des estimations, les troupes de Vladimir Poutine ont avancé 725 km2 rien qu’en novembre, soit le plus grand gain territorial depuis les premières semaines de l’invasion russe de l’Ukraine lancée en février 2022. Des avancées obtenues pourtant aux prix d’immenses pertes : 53 hommes par kilomètre carré de territoire saisi, selon les estimations de l’Institut américain pour l’étude de la guerre (ISW).
Selon les Ukrainiens, la tactique russe du « hachoir à viande » consiste à envoyer de petits groupes de trois à cinq soldats couverts par l’artillerie pour creuser des tranchées près des positions ukrainiennes. Les survivants, s’il y en a, seront rejoints par d’autres, et ainsi de suite, formant une vague d’assaut « constant », affirme « Goth ». Une approche qui fonctionne, selon lui, dans la mesure où le commandement russe ne semble guère se soucier de ses pertes et que l’armée ukrainienne est en sous-nombre et n’a pas la puissance de feu nécessaire pour détruire les canons russes.
« On tuera les trois qui attaquent, puis les suivants, et après trois jours d’efforts ils perdront peut-être dix soldats, mais l’artillerie (russe) nous fera reculer », résume Goth. La Russie « crée des trous dans notre défense », déplore cet ancien marin civil de 26 ans. « On tente de les combler avec les drones explosifs ».
« Cinquante pour cent, c’est de la chair » à canon
Les pilotes de l’unité de la 28e brigade sont des as, mais cela ne suffit plus : « Nous combattons une armée quatre fois plus peuplée », assène le commandant. Et « 150 %, c’est de la chair » à canon, « des anciens prisonniers, des gens issus des castes inférieures » dont « la Russie n’a pas du tout besoin », affirme-t-il.
La Russie ne communique pas ses pertes militaires. Mais en novembre, une responsable russe a laissé échapper avoir reçu quelque 48.000 demandes de tests ADN de membres de la famille de soldats combattant en Ukraine et cherchant un proche, un rare aperçu de l’ampleur potentielle des pertes militaires.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a pour la première fois dévoilé vendredi le chiffre global des pertes ukrainiennes : 43.000 soldats ukrainiens tués et 370.000 blessés depuis le début de l’invasion. Les pertes russes sont largement considérées comme bien supérieures.
« Pour Moscou, ça ne coûte rien de tuer 100 ou 150 personnes pour prendre un carré d’arbres. Pour nous c’est différent. Nous comptons chaque soldat », affirme Kourt, qui dirige une unité de la 28e brigade. « Goth », lui, il espère un hiver rude qui gèlera les sols et gênera la stratégie du « hachoir à viande ».