Guerre en Ukraine : Après les « armées bonsaïs », le retour du service militaire en Allemagne ou en Angleterre ?

Le service militaire est de retour en force en Europe. « Avant les années 2010-2015 et le retour de la guerre sur le sol européen, la question était posée de savoir si ça valait la peine d’avoir encore une conscription, estime Guillaume Lasconjarias, historien militaire et professeur associé à Sorbonne Université. Son retour marque aussi la prise de conscience que si l’Ukraine n’avait pas eu des formes de conscription, elle n’aurait pas pu résister. »
Depuis les années 1990, ce spécialiste observe que les dépenses de défense ont diminué en Europe, ainsi que la taille des armées. « On se retrouve avec des « armées bonsaïs » : on a un petit peu de tout, de manière échantillonnaire mais avec peu de combattants. » Les conflits ne sont plus « choisis » et ne se passent plus forcément à l’autre bout du globe, ce qui rebat les cartes sur le plan stratégique.
L’Allemagne et la Grande-Bretagne en réflexion
C’est Joschka Fischer (Alliance 90/Les Verts), alors ministre de la défense de l’Allemagne qui a aboli le service militaire obligatoire en 2011. Actuellement, un débat agite le pays autour de sa possible réintroduction. « Et c’est l’une des personnalités les plus favorables à son retour », pointe l’historien.
Lancé en 1956, le service militaire est rentré en vigueur en Allemagne après son intégration à l’Otan. Peu à peu, l’idée de le suspendre a fait son chemin en lien avec un déclin de la taille de l’armée allemande. « Beaucoup d’hommes ne servaient plus militairement mais pour des missions alternatives, éducatives ou sociales, et beaucoup étaient exemptés pour des raisons médicales, retrace Guillaume Lasconjarias. Abolir la conscription permettait alors de réduire les dépenses militaires. »
L’Allemagne n’est pas la seule grande puissance occidentale à se poser la question puisque plusieurs hauts gradés de Grande-Bretagne, dans laquelle le service militaire n’existe plus depuis les années 1960, se sont prononcés, fin 2024, en faveur de son retour. En France, c’est Jacques Chirac qui l’a suspendu en 1995, tirant les conséquences de la première guerre du golfe, en 1991.
L’Est de l’Europe a dégainé en premier
Les pays de l’Est, aux premières loges de l’annexion en 2014 de la Crimée par la Russie, ont été les premiers à réinstaurer un service militaire. La Lituanie l’a rétabli en 2015, prévoyant de mobiliser 3.500 hommes par an, pour une période de neuf mois. La Suède l’a suivi en 2017, après dix ans de suspension. La formation des recrues, à l’issue d’un processus très sélectif, s’y poursuit sur douze mois. La Lettonie l’avait aboli en 2007 mais l’a remis en vigueur depuis 2024. Il dure douze mois.
Certains pays ne l’ont jamais aboli, comme l’Autriche, la Suisse, l’Estonie, la Finlande et la Grèce. Israël est un cas à part puisque les hommes font leur service militaire pendant trois ans et les femmes deux ans. En dehors de l’Europe, il est par exemple perçu comme un facteur de développement économique en Turquie (où il dure de six à douze mois). Il a aussi été maintenu dans certains pays d’Afrique du nord, comme l’Algérie (douze mois.)
« En dessous de six mois, ce n’est pas utile »
Derrière la conscription c’est toute une économie à remettre en route. Elle suppose des bâtiments (terrains d’entraînements, système administratif, etc.), des capacités de transports, de soins médicaux, et des équipements. Les recrutements peuvent aussi cibler des compétences particulières plutôt que de se concentrer simplement sur le renforcement des effectifs.
C’est une approche qui varie beaucoup d’un pays à l’autre, comme la durée. « En dessous de six mois ce n’est pas utile et au-dessus de dix mois cela devient économiquement contre-productif », estime Guillaume Lasconjarias, qui explique qu’il faut au moins compter deux à trois mois pour les classes, qui permettent d’apprendre « les actes élémentaires du combattant ». Il précise aussi qu’il y a des spécialisations sur les différents métiers de l’armée et la formation des cadres, des sous-officiers et des officiers.
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Après des décennies où le militaire a plutôt décliné dans la vie des Européens de l’ouest, des signaux laissent penser qu’une partie de ces pays se préparent, si ce n’est à une remilitarisation, à « générer une capacité militaire », estime l’historien. La remise en route de la conscription prend plusieurs années et doit permettre aussi, selon lui, de « diffuser une sorte d’esprit de défense et de compréhension du lien qui unit le citoyen et l’Etat ».