France

Grève du 23 mars : « Ce sont les plus visibles… » La réforme des retraites confirme le renouveau de la CGT

De nos journalistes à Marseille, Lyon, Toulouse et Paris,

Difficile de les louper. En tête de cortège, ce sont bien eux qui mettent l’ambiance sur le Vieux-Port de Marseille. Debout sur une camionnette, déguisés en carotte ou en superman, les militants de la CGT Energie des Bouches-du-Rhône régalent les jeunes manifestants qui les suivent. La playlist y est pour beaucoup : sans couper à la traditionnelle internationale, les enceintes crachent les tubes préférés des jeunes marseillais, qui vont du très dansant En feu de Soprano au fédérateur corse La Goffa Lolita.

Et que dire de l’hymne « On est la CGT », entonné en manifestation et devenu ultra-populaire sur les réseaux de jeunes comme TikTok ? Signe que quelque chose à changer du côté de la confédération : « On sent que, de nouveau, la CGT a repris des forces », se réjouit Françoise, qui fête ses 31 ans sous la bannière rouge à l’union locale de La Rose. Le regain de mobilisation à l’appel des organisations syndicales tient aussi beaucoup sur le sujet selon ces militants rodés aux conflits sociaux « Les retraites, c’est un sujet qui est assez porteur car il touche tout le monde », analyse Lionel Arbiol, délégué CGT à la raffinerie Esso de Fos-sur-Mer. « La CGT a toujours été dans les batailles et donné une impulsion, abonde Noël, un autre représentant syndical de longue date sur le port de Marseille. Mais là, on sent quelque chose de nouveau. Même ceux qui d’habitude ne faisaient pas grève en se disant que c’était mort se mobilisent avec nous. »

Fini l’image de « cuiseurs de saucisses » et merci « Fifi »

Dans le cortège parisien, Stéphanie Lepera, 40 ans, pompier au SDIS 91 et syndiquée à la confédération fait le même constat : « C’est fini cette image ringarde de « cuiseurs de saucisses”. Depuis l’annonce de la réforme, les inscriptions se font en masse. » Même les cadres s’y mettent comme en témoigne Christian, ingénieur dans un cabinet d’études dans les Hauts-de-Seine : « C’est une petite entreprise, à 80 % de cadres, et on a enregistré dix adhésions sur les trois dernières semaines. » Un succès qui se traduit notamment par un engouement chez les plus jeunes comme Lénaïg et Grégoire, respectivement 20 et 21 ans : « Beaucoup d’entre nous ont une conscience politique et sociale et la CGT, c’est le syndicat qui fait le plus de bruit. Et puis il y a Fifi ! » Un surnom affectueux donné à Philippe Martinez, secrétaire général de la confédération. L’homme qui laissera son siège à la fin du mois est un atout charme certain pour les jeunes : « Il a beaucoup de charisme, il se bat en restant toujours très calme, clair mais ferme, il donne envie de le suivre », confie Solveig, étudiante dans le cortège, pendant qu’un baffle crache du Rage against the machine devant le Cirque d’Hiver.

S’il ne suit pas toutes les tendances des jeunes, Cédric Caubère, le secrétaire départemental de la CGT 31, présent à la manifestation de Toulouse, a bien noté « un paquet d’adhésions ». Pas plus tard que ce jeudi, avant que démarre le cortège à Toulouse, un camarade lui a demandé « 10 cartes ». En Occitanie, depuis le début de la mobilisation, « 53 % des centaines de nouvelles adhésions sont des femmes et 35 % ont moins de 35 ans ». Parmi ces jeunes nouveaux, il y a Clément, 29 ans, deux jours de carte et déjà un drapeau rouge à la main, derrière le camion blanc de la CGT qui envoie du Iron Maiden. « Je ne sais pas si c’est une tendance, mais j’ai plein d’autres amis qui vont le faire aussi pour défendre notre métier », explique l’animateur périscolaire.

« Ce sont ceux qu’on voit le plus quand on arrive en manifestation »

Philippe, lui, fait partie du tout nouveau Syndicat CGT 31 des Étudiants, lycéens et apprentis. Un mouvement qui informe ses adhérents via Instagram. A-t-il l’impression de dépoussiérer la vieille centrale syndicale ? Il reste modeste : « On est là pour apprendre et prendre l’expérience des anciens, et pour aider avec nos propres moyens ». Jean-Philippe, militant de la CGT des transports publics, qui n’a même pas Facebook, trouve que les anciens restent plus efficaces que les jeunes pour bloquer les dépôts de bus. Mais « sur l’information et la mobilisation instantanée », il s’incline, mercredi, en plein round sur les négociations salariales annuelles à Tisséo, « tout le monde a pu suivre en live la réunion, nos revendications et les réponses de la direction. C’était bien la première fois », reconnaît le syndicaliste aguerri.

Une première aussi à Lyon pour Victor, 16 ans, qui a attrapé un drapeau rouge floqué « CGT 69 » pour défiler fièrement dans la capitale des Gaules. « Ce sont ceux qu’on voit le plus quand on arrive en manifestation », justifie-t-il avant de préciser ne pas savoir quel syndicat choisir une fois salarié. Emma, elle, sait. Habillée d’un dossard de la CGT, cette jeune femme de 18 ans affirme avoir « le gilet dans la peau ». « Ma mère était syndiquée pendant des années, c’est comme un héritage parental. Pour moi, c’est la CGT qui représente le mieux tous les travailleurs », lance-t-elle avec assurance. Ce n’est pas João Perreira Afonso, secrétaire général de l’Union départementale du Rhône qui dira le contraire. Il constate d’ailleurs que « de plus en plus de personnes rejoignent les cortèges lors des appels à manifester ».

De plus en plus d’adhésions pour tous les syndicats

Et les rangs du syndicat grossissent avec. « Depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, nos standards explosent, lance-t-il. En quelques semaines, on a eu une augmentation de 12.000 à 14.000 des demandes d’adhésion au niveau national. » Un constat partagé du côté de Force ouvrière 69. Frédéric Volle, membre du bureau, note aussi « entre 50 et 100 nouvelles adhésions par semaine ». « On a de nombreuses sollicitations de tous les corps de métiers. On sent qu’on a besoin de s’organiser collectivement », admet-il. Du « jamais vu » pour ces chefs de file qui soulignent que, « pour la première fois depuis dix ans, tous les syndicats se sont unis ». « Le plus important dans le mouvement, c’est l’unité syndicale », résume Agnès, 63 ans, non syndiquée mais « manifestante depuis le début ».

Un succès qui ne provoque d’ailleurs pas la jalousie des autres organisations comme l’explique Arthur*, délégué départemental CFTC, en regardant quelques jeunes affublés d’autocollant CGT sur un trottoir à Paris : « Cela montre surtout que les jeunes s’intéressent à leur avenir, et si ça marche pour la boutique d’en face, ça va rejaillir sur les autres syndicats. »

*Le prénom a été modifié