France

Grève du 18 septembre : « C’est assez sournois » sur les lacrymogènes.

Lors du mouvement « Bloquons tout » le 10 septembre, la lacrymogène a été utilisée dans plusieurs villes comme Nantes, Rennes et Paris. En mars 2023 à Sainte-Soline, plus de 5.000 cartouches de type lacrymogène avaient été utilisées par les forces de l’ordre.


La plupart des personnes ayant participé à des manifestations dans les grandes villes françaises ont déjà fait l’expérience des gaz lacrymogènes. Ce n’est pas en raison d’une nature malveillante, mais simplement parce qu’elles se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. Il est important de préciser que les gaz lacrymogènes ne sont pas réservés uniquement aux casseurs. Soufflés par le vent, ils peuvent envahir de larges rues, pénétrer dans les habitations ou les véhicules et affecter tous ceux qui les inhalent.

Lors de la manifestation « Bloquons tout » le 10 septembre, les gaz lacrymogènes ont été employés dans plusieurs villes, notamment Nantes, Rennes et Paris. Dans le quartier de Châtelet, leur utilisation a même été suspectée d’avoir provoqué un début d’incendie dans un restaurant. De quoi sont-ils composés ? Pourquoi sont-ils utilisés ? Sont-ils nocifs pour la santé ? 20 Minutes fait le point sur les gaz lacrymogènes.

Quelle est la composition des gaz lacrymogènes ?

La composition la plus courante dans le monde est le gaz connu sous le nom de « CS ». Le « 2-chlorobenzylidène malononitrile » tire ses initiales des chimistes américains Ben Corson et Roger Stoughton, qui ont élaboré « la recette » en 1928. Son utilisation a surtout débuté après la Seconde Guerre mondiale pour des opérations de maintien de l’ordre.

Lors d’une manifestation contre les mégabassines en mars 2023 à Sainte-Soline, plus de 5 000 cartouches de ce type avaient été utilisées par les forces de l’ordre. « C’est le seul moyen dont on dispose pour tenir les gens à distance. Ce n’est agréable pour personne. Mais si on l’utilise, c’est qu’on n’a pas d’autre choix », explique Johann Cavallero, responsable national de la branche CRS au syndicat Alliance.

Quels sont les effets de l’inhalation ?

« On est plus chauds, plus chauds, plus chauds que la lacrymo », chantent parfois les manifestants. Mais ce refrain disparaît rapidement lorsque le nuage de gaz se répand. En effet, la lacrymogène paralyse même les plus déterminés. Pour ceux qui n’ont jamais vécu cette expérience, elle est à éviter. « D’abord, tu sens l’odeur. D’un coup, c’est âcre et ça gratte au fond de la gorge. Puis tu commences à tousser, pendant que le nez et les yeux piquent. Ça monte crescendo », raconte Mathilde, habituée aux manifestations à Marseille.

« C’est un effet brouillard, qui désoriente. D’abord, tu as du mal à respirer, ça étouffe, il y a comme un effet de suffocation. Et puis tu ne vois plus rien, tu pleures. C’est une expérience assez traumatisante », ajoute Fabrice Lerestif, secrétaire départemental du syndicat Force ouvrière en Ille-et-Vilaine. « J’avais les yeux qui brûlaient, je ne savais plus où j’étais. J’avais du mal à respirer », témoignait un chauffeur de poids lourd lors du blocage de la rocade de Rennes le 10 septembre au matin.

Quel impact pour les asthmatiques et les porteurs de lentilles ?

Les effets des gaz lacrymogènes peuvent être accentués chez certaines personnes, notamment celles portant des lentilles de contact, qui ressentent souvent un effet aveuglant plus désagréable. Les personnes asthmatiques peuvent également en souffrir, éprouvant une sensation d’étouffement et un souffle court. Au-delà des symptômes visibles, ce sont également les effets de panique qui peuvent être dangereux.

« Ça crée une panique je trouve. La première fois que j’en ai reçu, j’avais de plus en plus mal. Je me disais que ça n’allait jamais s’arrêter. Je ne voyais plus rien. »

Fabrice Lerestif se remémore avoir été prostré, tenant autant que possible la banderole syndicale. « Quand ça s’est dissipé, j’étais tout seul, désorienté. J’ai dû être pris en charge par des camarades, car j’étais proche du malaise. »

Comment se protéger ?

Il est d’abord conseillé de rester à distance. Lorsque cela n’est pas possible, il est préférable de se retirer calmement, sans courir pour éviter d’aggraver l’effet suffocant et de chuter. Il est également recommandé de fermer les yeux sans les frotter. Pour respirer, il vaut mieux couvrir sa bouche avec un foulard, idéalement humide, ou avec sa veste. Après exposition, l’utilisation de sérum physiologique peut soulager les brûlures des yeux.

Les gaz lacrymogènes sont-ils dangereux pour la santé ?

Comme mentionné précédemment, cela peut être particulièrement risqué pour les personnes vulnérables ou sujettes à la panique. Cependant, cela concerne tout le monde. L’inhalation de gaz n’est jamais sans danger. Les brûlures oculaires graves peuvent persister plusieurs jours. Pour les victimes gazées à bout portant, les symptômes peuvent être durables. Le responsable syndical de Force ouvrière a signalé « trois ans de stigmates sur la peau » après avoir été exposé lors d’un rassemblement.

Mais ce sont surtout les forces de l’ordre qui inhalent fréquemment ces gaz. « Chez les CRS, nous avons des masques à gaz pour nous protéger. Mais nous n’avons pas toujours le temps de les mettre. C’est vrai que l’on en consomme un bon nombre quand le vent pousse le nuage vers nous. Je peux vous assurer qu’on ne s’y habitue pas et que c’est toujours désagréable », confirme Johan Cavallero, porte-parole d’Alliance CRS. À long terme, les effets restent relativement inconnus. En 2019, l’Association Toxicologie-Chimie avait indiqué « des effets néfastes évidents à plus ou moins long terme » sur les personnes exposées régulièrement, notamment des problèmes respiratoires.

Pourquoi sont-ils utilisés ?

Les gaz lacrymogènes sont employés dans le cadre du maintien de l’ordre. « L’objectif est de disperser les gens, de les faire reculer. Ce n’est jamais par plaisir. Nous, quand les manifestations se passent bien, nous sommes ravis », affirme Johan Cavallero. La police française recourt-elle plus souvent aux lacrymogènes qu’auparavant ? « Sans doute. Mais parce que les manifestants deviennent de plus en plus violents et mieux organisés. Nous avons des collègues qui ont été très gravement blessés, parfois brûlés par des cocktails Molotov. Les moyens dont nous disposons sont parfois dérisoires. » Le représentant des CRS rappelle que si les manifestations ne sont pas déclarées, elles sont considérées comme des attroupements et donc interdites.

Ces dernières années, plusieurs organismes ont appelé à réduire l’usage des gaz lacrymogènes. Dans un rapport de 2023, Amnesty International a identifié « plusieurs situations » illustrant que la lacrymogène est « utilisée abusivement par les forces de l’ordre lors des rassemblements publics dans de nombreux pays ». Ce constat est corroboré par Fabrice Lerestif. « Nous avons observé une différence depuis la loi Travail en 2016. L’utilisation des gaz lacrymogènes ne doit pas être banalisée », insiste le secrétaire de Force ouvrière.