Gouvernement Lecornu : Premier ministre gouverne sans 49.3 avec assemblée divisée.
Le Premier ministre a annoncé qu’il renonçait à l’article 49.3 de la Constitution, qui permet de faire adopter un texte sans vote. Le Parti socialiste et le Rassemblement national ont indiqué attendre la déclaration de politique générale du Premier ministre prévue en début de semaine pour se prononcer sur la censure.
Effet d’annonce ou véritable signe d’ouverture ? Avant de recevoir le Rassemblement national (RN) et le Parti socialiste (PS) ce vendredi, le Premier ministre a déclaré ce matin qu’il renonçait à l’article 49.3 de la Constitution, qui permet l’adoption d’un texte sans vote. Sébastien Lecornu considère que les oppositions n’ont désormais « aucun prétexte » pour censurer le gouvernement lors des débats parlementaires sur le budget.
« C’est plutôt habile et malin, c’est un bon coup politique. C’est une concession qui gêne les oppositions mais qui ne le désarme pas complètement », analyse le constitutionnaliste Benjamin Morel. « Cela lui permet d’éviter la censure, probablement à court terme, puisque les socialistes et le RN auront du mal à justifier une censure contre un gouvernement qui les laisse débattre du budget. Toutefois, cela ne signifie pas que cela empêchera à terme la chute du gouvernement. Mais, malgré tout, il y a une forme d’intelligence politique dans cette décision », souligne-t-il auprès de *20 Minutes*, le maître de conférences à l’université Paris Panthéon-Assas.
En prenant une telle décision, le Premier ministre « fait des appels au PS pour éviter cette motion de censure », estime Virginie Tisserant, docteure en histoire politique et enseignante-chercheuse à l’université Aix-Marseille. Elle précise que « l’usage systématique du 49.3, notamment pour faire passer le budget », a été « très critiqué pendant les deux mandats » d’Emmanuel Macron à la présidence. « C’est un appel à l’unité pour s’assurer d’un vote du budget. Il faudra voir ensuite si les socialistes vont entrer au gouvernement. Cela pourrait casser l’unité entre le PS et La France insoumise (LFI), qui existe depuis longtemps, même lors des élections législatives. »
« Le chant du cygne de la Ve République »
Le Parti socialiste et le Rassemblement national, qui détiennent les clés de la survie du Premier ministre, ont déclaré attendre sa déclaration de politique générale prévue en début de semaine pour se prononcer sur la censure. « Nous jugerons en fonction de ce qu’il nous dira à ce moment-là », a déclaré Olivier Faure après sa rencontre avec le Premier ministre ce vendredi. Le leader des socialistes a reconnu un « début de rupture sur la forme. Mais sur le fond, rien n’a changé. » Marine Le Pen, de son côté, a admis que renoncer au 49.3 était « plus respectueux de la démocratie », mais n’a pas tranché sur la censure, jugeant le Premier ministre « extrêmement vague » sur le sujet.
« On est clairement dans un retour du poids des partis politiques, ça fait très IVe République », constate Virginie Tisserant. Selon elle, « même des partis qui n’ont pas énormément de poids tiennent aujourd’hui le Parlement. Je pense que c’est un peu le chant du cygne de la Ve République, cet équilibre qu’on n’arrive pas à trouver. »
Un Premier ministre « pas sans arme »
Même en renonçant au 49.3, Sébastien Lecornu « ne reste pas sans arme, il a encore des instruments institutionnels et juridiques à sa disposition », observe Benjamin Morel. Il cite l’article 40, qui « empêche de déposer des amendements créant des dépenses supplémentaires », et l’article 44, qui « permet de faire voter les parlementaires uniquement sur tout ou partie du texte en discussion en retenant seulement les amendements acceptés par le gouvernement ». « Il y a aussi le Sénat, note le constitutionnaliste. L’Assemblée n’a pas automatiquement le dernier mot, elle ne l’a que si le gouvernement le lui accorde. Dans le cas contraire, il faut établir un compromis avec le Sénat. Cela peut prendre du temps mais c’est une possibilité. »
« Sébastien Lecornu peut utiliser d’autres outils législatifs comme l’article 47, qui permet au gouvernement de passer par ordonnances si le Parlement n’est pas d’accord, et l’article 45, qui lui permet de s’imposer s’il n’y a pas d’adoption du texte après deux lectures », ajoute Virginie Tisserant. Toutefois, elle estime que le Premier ministre sera contraint « de passer par le 49.3 ». « Ce n’est pas dans l’intérêt des partis dissidents. En effet, derrière cela se profile l’élection présidentielle et les législatives. Montrer une fragilité du gouvernement permettra aux partis de crédibiliser une alternative d’unité future et d’anti-autoritarisme. »

