France

Golfe de Gascogne : « Parler dauphin », l‘étonnant projet d’un biologiste pour les éloigner des filets de pêche

Alors que plusieurs dizaines de carcasses de dauphins ont été retrouvées sur les plages du littoral Atlantique depuis le samedi 11 mars 2023, « 20 Minutes » vous  propose de lire ou relire ce récent article sur le sujet.

Comment dit-on « filet » en dauphin ? Plus qu’un mot, c’est une image que cherche Bastien Mérigot, maître de conférences à l’Université de Montpellier, chercheur à l’UMR Marbec, une unité de recherche sur la biodiversité marine. « Pour se repérer comme pour détecter leurs proies, les dauphins utilisent l’écholocalisation, explique-t-il. Ils émettent des signaux accoustiques et reçoivent en retour des échos qu’ils sont a priori capable de décoder en image et ainsi obtenir des informations sur leur environnement ».

Bastien Mérigot cherche alors à identifier et reproduire l’écho que ces dauphins auraient s’ils avaient émis un signal d’écholocalisation sur un filet. « Autrement dit, on cherche à leur faciliter le travail », explique le biologiste.

Les échouages, partie émergée de l’hécatombe

Le projet s’appelle « DolphinFree » et a été lancé en 2020. Le contexte, on le connaît : des échouages massifs de dauphins communs sur nos plages, chaque année de décembre à avril. S’il y en a toujours eu, ils sont en très forte hausse depuis 2016, constate l’observatoire Pelagis. Particulièrement sur la façade atlantique. On en comptait 1.149 en 2019, 1.299 en 2020, 669 en 2021. « Depuis décembre, nous en sommes à 450 et la saison des échouages n’est pas terminée », s’alarme Cédric Marteau, directeur du pôle « Protection de la nature » à la LPO. Juste la partie émergée de l’hécatombe, insiste-t-il : « La majorité des dauphins pris dans les filets coulent sur place ou sont emportés par les courants vers le large. » « Pelagis estime entre environ 4.000 et 8.000 le nombre de dauphins communs tués par la pêche chaque année dans le Golfe de Gascogne ces dernières années », confirme Bastien Mérigot.

Il n’y a guère de doute sur la cause de ces échouages : « environ 90 % des carcasses examinées portent les stigmates de captures accidentelles de pêche », indique Bastien Mérigot. Mais pourquoi surtout depuis 2016 ? « On ne sait pas très bien, répond-il. Cela pourrait être lié à la redistribution spatiale, plus proche des côtes françaises, des populations de poissons dont se nourrissent les dauphins. Le merlu, le bar, la sole, le lieu… Les mêmes que ciblent les bateaux de pêche. » Tout ce monde se retrouve à naviguer dans les mêmes coins, augmentant le risque d’interactions, souvent fatales pour les dauphins.

Des « pingers » sur les chalutiers, rien sur les fileyeurs ?

La solution viendra peut-être de la technologie. Les ONG en doutent (lire encadré). Tout de même, depuis 2020, les douze paires de chalutiers pélagiques actives dans le Golfe de Gascogne (du sud Finistère au Pays basque) doivent être équipées de « pingers ». Ces répulsifs acoustiques sont installés sur le bateau et émettent des sons désagréables aux dauphins pour les éloigner. « Des tests lors de l’hiver 2017-2018, sur des chaluts pélagiques, ont montré des réductions des captures accidentelles de 65 % en moyenne », indique Bastien Mérigot.

Mieux, mais pas parfait. Surtout, les chaluts pélagiques ne sont pas les seuls à sillonner le Golfe de Gascogne. Il y a aussi les fileyeurs, ces bateaux qui déposent leurs filets sur les fonds marins avant de revenir les relever plus tard. Bastien Mérigot parle de 400 navires français dans la zone, « certains utilisant des filets de plusieurs kilomètres ». L’obligation de s’équiper de pingers répulsifs ne s’applique pas à eux. « Ils sont trop lourds pour leurs filets et impacteraient les opérations de pêche, reprend le biologiste. Le risque aussi, en les équipant tous, serait d’exclure potentiellement les dauphins de zones trop vastes. »

Se mettre dans la peau d’un dauphin

Plusieurs programmes de recherche ont ainsi été lancés en vue d’adapter des dispositifs d’éloignement aux fileyeurs. Pressée par l’Union européenne d’agir, la France a réactualisé en janvier son plan de lutte contre les captures accidentelles, qui prévoit l’expérimentation à grande échelle, l’hiver prochain, de trois de ces projets.

DolphinFree est l’un d’eux et mise sur une nouvelle approche, bio-inspirée. « Les signaux répulsifs sont des alarmes : les dauphins s’éloignent parce qu’ils sont dérangés par le bruit, mais sans en avoir cerné la signification, explique Bastien Mérigot. Nous avons plutôt cherché à produire un signal informatif, compréhensible des dauphins communs. »

Mieux, mais pas simple à mettre au point, « ne serait-ce parce que les dauphins émettent sur une très grande bande de fréquences, bien au-delà de ce que nos oreilles peuvent entendre », précise le biologiste. Une première étape a été d’enregistrer des signaux d’écholocalisation de dauphin. Puis, l’équipe de Bastien Mérigot est partie en mer réémettre ces signaux sur un filet, comme l’aurait fait un dauphin. « Il nous restait à enregistrer l’écho obtenu en retour, soit la signature acoustique du filet dans le langage dauphin. C’est cet écho-là qu’émettent nos balises. »

Des dauphins moins stressés ?

Les premiers retours sont encourageants. Les balises, de la forme d’un tube, ont été testées en mer auprès d’une cinquantaine de groupes de dauphins sauvages. « Ils communiquent beaucoup plus entre eux et écholocalisent plus après avoir reçu notre signal, ce qui laisse suggérer qu’ils ont plus de possibilités de détecter le filet et les dangers associés, commence le chercheur. Surtout, contrairement aux répulsifs acoustiques, ils quittent la zone de danger de façon beaucoup plus apaisée pour reprendre leur activité quelques centaines de mètres plus loin, sans être exclus de leurs zones d’habitat. » Une dizaine de fileyeurs ont équipé leurs filets de ces balises entre 2021 et 2022, permettant de les tester sur plus d’un millier d’opérations de pêche. Pour zéro capture accidentelle ! « Enfin si, trois, rectifie Bastien Mérigot, Mais elles étaient liées à des incidents de pêche. Un filet, par exemple, resté dix jours en mer, faute d’avoir pu être récupéré par les pêcheurs, le lendemain de sa mise à l’eau. Les batteries de la balise ont fini par tomber à plat. »

Le scientifique travaille à une nouvelle version de ses balises, plus petite et plus allégée, pour « que les pêcheurs puissent les installer et les décrocher avec le moins de contraintes possibles ». L’objectif est qu’elle soit prête d’ici décembre, date prévue pour le début l’expérimentation à grande échelle voulue par le gouvernement. Soixante-trois navires fileyeurs testeront alors les balises développées par Bastien Mérigot et ses équipes. Jusqu’à fin avril 2024.