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« Gladiator 2 » : Féminisme, rhinocéros, diversité… Auriez-vous envie de voir un péplum historiquement plausible ?

Un rhinocéros qui combat les gladiateurs ? Des requins dans un Colisée inondé ? Une femme qui aspire au célibat ? Le film Gladiator 2 vient de sortir en France, en avance de plusieurs jours sur les Etats-Unis, et suscite déjà des controverses chez les historiens qui y ont repéré des erreurs historiques.

Ridley Scott, qui revient dans la Rome impériale du IIIe siècle, 24 ans après un premier opus devenu culte, n’a sans doute pas beaucoup d’états d’âme au sujet de la plausibilité historique. Son précédent film, Napoléon, avait agacé de nombreux spécialistes du fameux despote français. Le réalisateur avait alors, par ses déclarations, démontré son inculture en matière historique et son mépris pour la discipline.

Paul Mescal contre un rhino plutôt que la vérité historique

Déjà très peu plausible sur de nombreux points de son scénario, le premier Gladiator est par ailleurs un film culte pour toute une génération et un succès populaire incontestable. C’est aussi une œuvre qui a inspiré de nombreux créateurs par la suite en remettant au goût du jour le genre du péplum, jusqu’à décrocher l’Oscar du Meilleur film en 2001. D’ailleurs, la plupart des péplums de la grande époque ne se souciaient pas vraiment non plus de plausibilité historique.

« Je suis persuadée qu’on peut rendre divertissant un spectacle historiquement fondé, nous explique Laure Barthet, directrice du Musée Saint-Raymond, à Toulouse, et passionnée de reconstitution historique. Mais les historiennes et archéologues aussi sont fans de pop culture et des fils et séries qui disent un peu n’importe quoi sur une période historique… »

Ainsi, on peut se mettre d’accord : il est très peu probable qu’un rhinocéros ait combattu dans une arène à Rome. Il est impossible que des requins aient nagé dans le Colisée (qui n’était pas conçu pour accueillir des naumachies, des batailles navales reconstituées). Et non, les Romains ne lisaient pas le journal en buvant des cafés. Néanmoins, on a tous envie de voir Paul Mescal en gladiateur confronté à un rhino…

La diversité en question

Ainsi, si les premières critiques de Gladiator 2 sont globalement positives, aucune ne s’attarde sur la plausibilité historique de son intrigue. Pourtant, les liens entre réalité historique et qualité du scénario sont bien présents. « Il y a des choses dans Gladiator qui sont très bien vues, estime Rafaella Gafà, chargée d’étude au musée de la Romanité de Nîmes. Par exemple, le protagoniste du premier film est un haut gradé qui vient d’Espagne. Ceci est tout à fait plausible et révélateur de la manière dont fonctionnait l’Empire romain à cette époque de son extension maximale. Dans les villes, et dans toute la société romaine, il y a des personnes qui viennent de tout l’Empire. »

Ainsi, si la diversité visible à l’écran dans Gladiator a pu être critiquée par des commentateurs racistes, elle est historiquement fondée. « On parle un latin avec des accents très variés à cette époque à Rome, comme on peut entendre des anglais très différents à New York aujourd’hui, commente Rafaella Gafà. La Pax Romana, installée depuis plusieurs siècles, permet une circulation très libre. »

Le ressort de la discrimination

La présence de personnages noirs tant parmi les esclaves que dans les plus hautes sphères de la société romaine de Gladiator (Denzel Washington incarne le riche Macrinus) pose aussi la question, controversée parmi les historiens, du racisme à l’époque antique. « Il y avait sans doute une discrimination vis-à-vis de certaines populations, note Rafaella Gafà. Les populations noires, maures notamment, sont représentées de manière exotique avec des codes qui sont autant de clichés. Mais la population la plus discriminée, ce sont les Grecs, perçus comme mous, paresseux et obsédés par le plaisir, ce qui n’est pas une qualité dans la mentalité romaine. Mais y avait-il un racisme systémique, comme on l’entend de nos jours ? C’est difficile à dire. »

Être victime de discrimination est un ressort dramatique confortable pour un scénariste, il est donc exploité dans Gladiator. Mais la situation réelle des populations discriminées était plus complexe que ne veut bien le montrer le film. « Ces sociétés étaient basées sur l’esclavage, toute population vaincue pouvait devenir esclave des Romains. Rome comptait énormément d’esclaves grecs, qui pour certains étaient très cultivés. Il y avait par exemple des esclaves médecins. Ces gens ont eu une vie plus ou moins agréable en fonction du rôle qu’ils ont pris dans la société romaine. Ils n’étaient pas libres mais ont peut-être eu une vie correcte. »

Un bon gladiateur est un gladiateur vivant

Le cœur même du film Gladiator et Gladiator 2 est sujet d’étude historique : les combats de gladiateurs. Ridley Scott en fait des héros maudits, avec des correspondances morales à notre époque contemporaine. Mais la réalité historique permet aussi de créer des situations dramatiques utiles à un bon film. « Les vrais combats de gladiateurs ne seraient sans doute pas assez spectaculaires pour un spectateur de cinéma 2024, reconnaît Philippe Normand, responsable des cascades pour un spectacle de reconstitution historique dans les arènes de Saintes. C’est un combat long et lent, épuisant pour les corps, et codifié. Ceux de Gladiator correspondent mieux au goût du jour, avec des retournements de situation improbables, du suspense, des performances athlétiques de super-héros… »

Pour autant, les « vrais » combats de gladiateurs auraient de quoi passionner le public d’aujourd’hui sur le plan moral. « Historiquement, ces combats accompagnaient des funérailles, rappelle Rafaella Gafà. La mort était présente d’un point de vue symbolique. Les gladiateurs étaient des athlètes dont l’entraînement coûtait cher à leurs propriétaires. Ils étaient élevés, soignés, nourris… Il était donc rare qu’ils meurent dans l’arène. En revanche il y avait du sang… »

Un féminisme anachronique

Gladiator use d’une autre réalité historique liée aux combats de Gladiateur : leur usage par les dirigeants romains pour s’attirer les faveurs de la population. « Il n’y avait pas que les combats de gladiateurs à ces spectacles très populaires. Par exemple, il y avait des massacres d’animaux exotiques, des « venatio », qui ont été destructrices pour la faune… » Et là, on sent que Ridley Scott a pensé que le spectateur de 2024 n’apprécierait pas la violence des hécatombes d’animaux. Tout comme la dimension religieuse païenne est gommée.

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Enfin, le réalisateur s’accommode de la réalité historique concernant le statut social des gladiateurs… et des femmes. Ainsi Gladiator ne montre pas que les combattants pouvaient être des hommes libres « qui choisissaient de faire carrière dans la gladiature. » Au contraire le film montre des personnages féminins qui prennent leur vie en main, choisissent le célibat, s’énervent et se révoltent contre l’ordre établi. Or, si elles avaient un rôle important dans la société, les femmes romaines ne faisaient rien de tout ça.