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Gaza : « Même les gens de droite ne contestent pas le génocide » – L’engagement de l’Espagne contre Israël

L’Espagne n’a pas manqué un seul Mondial de football depuis 1978 et le gouvernement espagnol a menacé de boycotter la compétition de l’été prochain en cas de participation d’Israël. Selon une enquête de l’institut royal Elcano, 82 % des Espagnols estiment qu’Israël commet un génocide à Gaza et 78 % soutiennent la reconnaissance officielle de l’État palestinien.


Une Coupe du monde de football sans l’Espagne ? Impensable sur le plan sportif, la Roja n’ayant manqué aucun Mondial depuis 1978. Pourtant, le gouvernement espagnol menace de boycotter la compétition l’été prochain si Israël y participe. La sélection israélienne est actuellement troisième de son groupe, à égalité avec l’Italie, et peut donc espérer se qualifier pour un barrage. Malgré l’ambition de conquérir une deuxième étoile sur le maillot, le pouvoir espagnol est prêt à prendre des risques avec l’avenir de sa Selección pour faire pression. Cette position audacieuse témoigne de l’engagement du pays envers la cause palestinienne.

Les manifestations de soutien à Gaza se multiplient ces dernières semaines. La Vuelta, l’un des événements sportifs les plus prestigieux d’Espagne, a été perturbée par des militants : plusieurs étapes ont été neutralisées ou raccourcies, et le podium final a été annulé dimanche dernier à Madrid, forçant les coureurs à improviser une cérémonie sur un parking.

Le Tour de France 2026, qui doit débuter à Barcelone le 4 juillet, soulève aussi des inquiétudes. La ville a déjà annoncé qu’elle refuserait d’accueillir l’équipe Israel-Premier Tech, qui a pris part aux six dernières éditions.

Lundi dernier, 300 artistes espagnols se sont réunis à Madrid, dont Pedro Almodóvar, pour lire les noms de 19 000 enfants tués à Gaza. Le drapeau palestinien a été largement visible aux côtés de la rojigualda, dans des proportions exceptionnelles en Europe. « C’est un sujet omniprésent en Espagne. La société civile est très mobilisée », déclare Lucas Ormière, sociologue spécialiste de l’Espagne et chercheur associé au Centre Emile-Durkheim de Bordeaux.

Ce soutien s’observe partout, mais particulièrement en Catalogne et au Pays basque, comme le montre la Vuelta. « Ces régions sont marquées par de forts mouvements indépendantistes de gauche, attachés à défendre les peuples opprimés. Ils font donc un lien logique avec la Palestine, d’où cette solidarité, qui résonne également avec des mouvements en Irlande ou en Corse. »

Selon une enquête réalisée par l’institut royal Elcano cet été, 82 % des Espagnols pensent qu’Israël commet un génocide à Gaza, et 78 % soutiennent la reconnaissance officielle de l’État palestinien. À titre de comparaison, en juin, 22 % des Français estimaient que la France devait reconnaître un État palestinien immédiatement et sans conditions, d’après l’Ifop. Le soutien à la cause palestinienne transcende même les clivages politiques, avec « 60 % des personnes de droite estimant qu’il y a un génocide », souligne le chercheur.

Cependant, des divergences demeurent parmi les responsables politiques. Alors que le gouvernement de gauche de Pedro Sanchez a reconnu l’État palestinien en mai 2024, « le Parti populaire a pris position en faveur d’Israël, même si ses électeurs soutiennent plutôt la Palestine », indique la politologue Maria Elisa Alonso. « La droite a critiqué les manifestations pendant la Vuelta et la mauvaise image que cela donnait de l’Espagne », tandis que Sanchez a salué les manifestants, mettant la cause palestinienne au-delà de l’événement sportif.

Les racines du soutien espagnol à la Palestine sont profondes, remontant à l’époque du franquisme, lorsque le pays (qui n’adhérera à l’ONU qu’en 1955) cherchait une légitimité. « Israël refusait de reconnaître l’Espagne franquiste, soutenue par les forces de l’Axe et qui était, par sa doctrine, ouvertement antisémite. L’Espagne cherchait des alliés parmi les pays arabes », explique le chercheur. « Franco craignait un complot judéo-maçonnique pour anéantir l’Espagne, d’où cette proximité avec les pays arabes », ajoute Maria Elisa Alonso.

Par la suite, « l’Espagne démocratique, dès son intégration à la CEE en 1986, a toujours défendu le droit international », rappelle Lucas Ormière. « Elle a soutenu le peuple palestinien et s’est opposée à la colonisation des terres palestiniennes. Dans les années 1990, elle est devenue une nouvelle puissance diplomatique au sein de l’Europe dans le processus de paix. » La Conférence de Madrid, organisée en 1991, a ainsi préparé les accords d’Oslo, scellés par la célèbre poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin.

Dans le contexte actuel, le spectre d’un boycott du Mondial de football représente « une manière de commencer le rapport de force politique et diplomatique ». Bien qu’une action contre l’équipe nationale reste très peu probable en raison de l’impopularité qu’elle engendrerait, « la politique diplomatique espagnole cherche à durcir le ton pour influer sur le cours des événements. Cela permet également au gouvernement de peser au niveau européen pour que la Commission prenne une position plus ferme envers Israël. » Dominique de Villepin a cité cet exemple sur France Info : « Aujourd’hui, qui sauve l’honneur de l’Europe dans cette région ? C’est l’Espagne. »