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Fusillades en Serbie : Le pays est « contaminé par des stocks d’armes très importants »

Deux tueries ont endeuillé la Serbie cette semaine. Mercredi, un adolescent a tué neuf personnes dans une école Belgrade. Jeudi soir, tard dans la nuit, un jeune homme a tué huit personnes dans trois villages de Mladenovac, à une soixantaine de kilomètres de la capitale, déjà endeuillée. Ces massacres, qui n’ont apparemment aucun lien, ont profondément choqué l’opinion publique serbe.

Mais ces fusillades sont-elles exceptionnelles dans ce pays des Balkans ? La circulation des armes y est-elle incontrôlée ? 20 Minutes fait le point pour vous grâce à l’éclairage de Florian Bieber, politiste et historien spécialiste des Balkans et Florent Marciacq, codirecteur de l’Observatoire des Balkans et chercheur associé au Centre international de formation européenne.

Est-ce que ces évènements sont exceptionnels en Serbie ?

« C’est quelque chose de tout à fait exceptionnel en Serbie », assure Florian Bieber, politiste et historien spécialiste des Balkans. La tuerie scolaire de mercredi est sans précédent dans ce pays d’Europe du Sud. « Dans les Balkans, c’est très inhabituel, contrairement aux Etats-Unis. La violence ne se traduit pas dans la rue, elle reste plutôt cantonnée à la criminalité », explique Florent Marciacq, codirecteur de l’Observatoire des Balkans et chercheur associé au Centre international de formation européenne. Au total, 17 personnes ont été tuées et 21 autres hospitalisées dans ces deux fusillades, provoquant l’effroi en Serbie. Signe de l’émoi, trois jours de deuil national ont été décrétés à partir de ce vendredi.

En solidarité, le gouvernement bosnien a aussi décrété un jour de deuil national. « C’est un vrai choc national. Un choc similaire à si l’on avait vu ce type d’évènements en France ou dans un autre pays d’Europe de l’Ouest », assure Florian Bieber. Ce vendredi, des milliers d’habitants de la capitale serbe ont déposé des fleurs, des jouets, des messages, et allumé des bougies devant l’école Vladislav Ribnikar, dans le centre-ville, où le carnage a eu lieu. Toutes les écoles du pays ont commencé la journée par une minute de silence pour rendre hommage aux victimes. « Ce type d’évènement est extrêmement rare en Serbie mais, ce qui n’est pas rare, ce sont les armes à feu », explique Florent Marciacq.

La circulation des armes est-elle problématique dans le pays ?

La Serbie, qui compte environ sept millions d’habitants, est, en effet, un pays très armé. Quelque 765.000 armes, dont plus de 232.000 pistolets sont légalement enregistrés. « C’est l’un des pays d’Europe où l’on compte le plus d’armes en circulation. Dans les villages serbes, il est très habituel de prendre une arme pour fêter le nouvel An ou un anniversaire. Les armes y sont bien plus intégrées dans la vie quotidienne qu’en France par exemple », explique Florian Bieber. Et de très nombreuses armes ne sont pas enregistrées mais restent « dans le grenier », note Florent Marciacq. « A la sortie de la guerre de Yougoslavie, on estimait à 4 millions le nombre d’armes à feu qui se sont évaporées et, parmi elles, un grand nombre ont été conservées par les familles », rapporte le codirecteur de l’Observatoire des Balkans.

« Il était si facile d’obtenir des armes pendant les guerres. Beaucoup de gens qui y ont participé, ont gardé leurs armes à la sortie de la guerre et ne les ont jamais enregistrées », abonde Florian Bieber. L’auteur de la seconde tuerie était, lors de son interpellation, en possession de quatre grenades, d’une Kalachnikov et d’une quantité importante de munitions. S’il n’y a aucune preuve que les armes utilisées par les assaillants viennent de ces réseaux d’armes, « quand les armes sont disponibles, pourquoi aller chercher ailleurs ? », s’interroge Florent Marciacq avant d’ajouter : « C’est d’ailleurs le cœur du problème. »

Quelles réactions politiques ces drames entraînent-ils ?

Le président serbe a rapidement réagi, promettant un « désarmement presque complet de la Serbie ». Aleksandar Vucic a annoncé ce vendredi un vaste plan de désarmement afin de réduire considérablement les armes détenues légalement mais aussi de s’attaquer au problème des armes illégales dans ce pays des Balkans. Le chef d’Etat veut « réduire de 90 % le nombre d’armes légères détenues par les particuliers et les entreprises ». Une tâche très ambitieuse alors qu’« entre 10 et 30 % des gens auraient une arme à feu » dans le pays, déclare Florent Marciacq. « C’est difficile de mener à bout ce type de désarmement quand tant de gens gardent ce genre d’armes dans leurs greniers », ajoute le codirecteur de l’Observatoire des Balkans.

D’autant que le gouvernement serbe est habitué aux déclarations fracassantes. « Le président Vucic est connu pour son populisme assez fort. Il n’est pas certain qu’il y ait une véritable volonté politique derrière ces annonces », prévient Florent Marciacq. La société serbe est abreuvée de déclarations brutales alors que Belgrade continue de refuser de reconnaître l’indépendance du Kosovo. « Il y a une forme de schizophrénie : d’un côté, le gouvernement utilise une rhétorique guerrière et violente à l’encontre du Kosovo, de l’autre il propose cette idée de désarmement de la société serbe », souligne le chercheur. Au final, la volonté de Belgrade dépendra de l’opinion publique et de la « pression de la société », estime Florian Bieber. Mais, même si elle s’avérait forte, l’opération risque d’être délicate vu combien « la société reste contaminée par des stocks d’armes très importants », note Florent Marciacq. Une chose est sûre, « on ne peut pas résoudre une telle situation en un jour », conclut Florian Bieber.