Frères Menendez : Derrière l’affaire ultra-médiatique, la lente prise de conscience des ravages de l’inceste
Ce 20 août 1989, il n’est pas tout à fait minuit lorsque la police de Los Angeles reçoit l’appel d’un certain Lyle Menendez, 21 ans. Paniqué au bout du fil, le jeune homme leur explique qu’il vient de découvrir, avec son frère Erik, de trois ans son cadet, les corps sans vie de leurs parents dans la maison familiale. Le crime ne fait aucun doute. Le salon de cette villa cossue de Beverly Hills est maculé de sang. José Menendez, un émigré cubain qui a fait fortune dans le divertissement, a été abattu de six balles, dont l’une dans la nuque. Le corps de sa femme, Mary-Louise, dite Kitty, présente une dizaine d’impacts. Les enquêteurs procèdent aux premières constatations mais toutes les douilles ont disparu. Tout comme l’arme, d’ailleurs. Pour eux, le crime porte la signature du grand banditisme. Ils ne pensent d’ailleurs pas à relever d’éventuelles traces de poudre sur les mains des deux frères.
« Les policiers n’ont pas réagi. Ils auraient dû nous arrêter », témoigne, trente-cinq ans plus tard, Erik, dans un documentaire diffusé cet automne sur Netflix. Et de préciser : « J’avais caché les douilles dans le coffre de ma voiture […] tout était sous leurs yeux. » Les premiers soupçons à leur encontre naîtront quelques mois après les meurtres, lorsqu’ils se mettent à dilapider la fortune de leurs parents, estimée à 14 millions de dollars. Ils sont finalement interpellés en mars 1990 et purgent, depuis, une peine de réclusion criminelle à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Trente-cinq ans après, les frères Menendez sont pourtant à nouveau sur le devant de la scène, tant médiatique que judiciaire.
Nouvelle audience
Ces 30 et 31 janvier, une audience doit se tenir en Californie pour se pencher sur une éventuelle libération : selon leurs avocats, de nouveaux éléments versés au dossier remettent en cause le bien-fondé de leur condamnation. Il ne s’agit pas d’une erreur judiciaire à proprement parler, puisque les deux frères ont avoué. Mais les derniers développements du dossier ont relancé le débat sur le contexte du crime : l’inceste et les maltraitances que disent avoir subis Lyle et Erik Menendez. Si le documentaire et la série * – très controversée – diffusés sur Netflix ont ranimé une certaine frénésie autour de ce dossier, ils n’ont eu qu’une incidence limitée sur ce versant judiciaire. Ils permettent surtout de prendre le pouls de la société américaine et de constater l’évolution de la perception des violences sexuelles en trente-cinq ans.
Cet aspect du dossier n’a jamais été passé sous silence. Lorsque s’ouvre le premier procès, à l’été 1993, les frères Menendez reconnaissent le meurtre mais plaident la légitime défense, expliquant avoir vécu toute leur vie sous la coupe de leur père, un homme violent et incestueux, que leur mère protégeait. Au tribunal, ils expliquent que le patriarche les menaçait de mort s’ils révélaient les abus sexuels dont était victime le cadet. La défense rassemble des dizaines de témoignages, y compris au sein de la sphère familiale, soulignant le caractère cruel et violent de José Menendez.
Mais l’ère #MeToo n’est pas encore passée par là et les conséquences dramatiques des violences sexuelles sont minorées. L’hypothèse de l’inceste est balayée d’un revers de manche par les procureurs, qui estiment que les hommes ne peuvent être victimes d’abus. Ils plaident le crime cupide, dépeignent des enfants pourris gâtés, connus pour leurs frasques.
Reconnus coupable d’assassinat
Le jury est divisé : selon des témoins de l’époque, les femmes penchent en faveur d’un meurtre avec circonstances atténuantes alors que les hommes y voient un assassinat. Après plus d’un mois de délibérations, les jurés ne parviennent pas à s’accorder sur un verdict. Comme le prévoit la procédure, ce procès est tout bonnement annulé et un second s’ouvre un an plus tard. La défense des deux frères est affaiblie par des soupçons de faux témoignages : la police a notamment retrouvé une lettre dans laquelle Lyle donne des consignes à un ami sur les propos à tenir à la barre. Le juge en charge du dossier évacue très rapidement l’aspect des violences sexuelles pour se concentrer sur le mobile de l’héritage. En juillet 1996, le verdict tombe : les frères sont reconnus coupable d’assassinat. S’ils échappent à la peine de mort, leur avenir s’écrira derrière les barreaux. Toutes leurs tentatives de recours restent vaines.
Il faut attendre 2023 pour que le dossier connaisse un rebondissement spectaculaire : un documentaire diffusé sur la chaîne Peacock – différent de celui de Netflix, donc – fait témoigner un homme, chanteur dans un boysband latino, qui affirme avoir été victime d’agressions sexuelles de la part de José Menendez lorsqu’il avait 14 ans. S’appuyant sur ce témoignage, les avocats des deux frères demandent à ce que soit rouvert leur dossier.
Ils y ajoutent un élément inédit : une lettre d’Erik à son cousin, écrite en décembre 1988, soit six mois avant le meurtre. « Cela arrive toujours, Andy, mais c’est pire pour moi maintenant », confie-t-il. « Je ne sais jamais quand cela va arriver et ça me rend fou. Chaque nuit, je reste éveillée en pensant qu’il va peut-être venir. […] Tu ne connais pas papa comme moi. Il est fou ! Il m’a prévenue cent fois de ne pas en parler à qui que ce soit, surtout à Lyle. » La missive aurait été retrouvée par hasard, en 2018, par la sœur de José Menendez. Une demande de grâce est également formulée.
« Un jury d’aujourd’hui examinerait cette affaire très différemment »
En octobre 2024, alors que les réseaux sociaux s’agitent et que les stars, emmenées par Kim Kardashian, prennent position en faveur des deux frères, le procureur du district de Los Angeles, George Gascon, se prononce en faveur d’une réévaluation de leur condamnation, soulignant l’évolution de la perception des violences sexuelles. « Il ne fait aucun doute qu’un jury d’aujourd’hui examinerait cette affaire très différemment de celui d’il y a trente-cinq ans », insiste-t-il sur CNN. Dans ses conclusions, il recommande à ce que leur condamnation pour assassinat soit commuée en meurtre, ce qui permettrait leur libération immédiate. En parallèle, il a écrit une lettre au gouverneur pour soutenir la demande de grâce formulée par leurs avocats, pointant notamment leur exemplarité en détention.
Notre dossier sur les cold cases
Mais puisque l’affaire s’est déroulée à quelques kilomètres de Hollywood, il fallait un rebondissement digne d’un scénario de blockbuster. En novembre, le procureur Gascon a échoué à se faire réélire : il a été remplacé par Nathan Hochman, réputé plus strict. Souscrira-t-il à l’analyse de son prédécesseur dans ce dossier ? Son regard sur le dossier pèsera assurément très lourd puisque le gouverneur, sollicité pour la grâce, a d’ores et déjà annoncé qu’il s’en remettrait à son analyse.
* Monstres : L’histoire de Lyle et Erik Menendez