France 2 : Documentaire sur les « Mères en lutte » contre l’inceste
Le documentaire « Infrarouge », présenté par Marie Portolano, suit trois mères d’enfants victimes d’inceste et a été diffusé ce mercredi à 22h55 sur France 2. En août, le ministre de la Justice Gérald Darmanin avait annoncé son intention de créer une « ordonnance de sûreté » pour « protéger sans délai un enfant face à un parent agresseur », mais cette proposition est restée lettre morte, rapportait l’AFP.
Elles sont des centaines, peut-être même des milliers, ou plus encore. Il est difficile d’évaluer le nombre de femmes qui se battent pour protéger leurs enfants victimes de violences sexuelles et d’inceste. Ces « mères en lutte » sont au centre d’un documentaire poignant « Infrarouge », présenté par Marie Portolano et diffusé ce mercredi à 22h55 sur France 2.
Ce film d’une heure suit le parcours de trois mères d’enfants victimes d’inceste. Elles relatent leurs luttes face à la justice, les risques qu’elles prennent et les dilemmes insupportables auxquels elles doivent faire face.
« Si elles révèlent les violences que les enfants ont exprimées, elles risquent de tout perdre : d’aller en prison, de perdre la garde des enfants. Si elles ne disent rien, c’est la même chose », déplore Édouard Durand, juge pour enfant et ancien coprésident de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles Faites aux Enfants (Ciivise), qui témoigne dans ce documentaire. Le film aborde également la problématique de la non-reconnaissance de la parole des enfants.
**Des femmes « silenciées » et l’urgence de se faire entendre**
« Mères en lutte » est réalisé par Johanna Bedeau, une documentariste qui travaille depuis de nombreuses années sur les questions de violences conjugales et intrafamiliales, et qui a notamment réalisé une série de podcasts sur l’inceste pour France Culture en 2022. « J’avais entendu parler de ces destins tragiques mais sans me dire à l’époque que des centaines de mères étaient en train de vivre ça », explique-t-elle à 20 Minutes.
En 2023, elle s’associe avec la productrice Mélissa Theuriau pour raconter ces histoires. « On savait que ce serait difficile car c’est un sujet très compliqué à traiter. Mais en même temps, il y avait une urgence à donner la parole à ces femmes parce qu’elles sont silenciées en permanence », ajoute-t-elle.
Dans ce documentaire, Virginie, Pauline et Cynthia, les trois mères qui luttent pour protéger leurs enfants, témoignent toutes à visage découvert. « Certaines femmes avaient accepté de témoigner mais elles ne pouvaient pas le faire à visage découvert parce qu’elles étaient en fuite. On a aussi fait le choix de ne pas flouter les visages parce que ce sont elles qui, en permanence, se cachent dans les violences conjugales, ce sont elles qui partent, qui doivent fuir », précise la réalisatrice.
Pour ces femmes, il est également essentiel de se faire entendre. « Elles n’ont plus rien à perdre. Elles ont tellement besoin et envie qu’on entende ce que vivent leurs enfants, la question de la séparation, de l’éclatement familial, du déchirement et de leur combat. Ce qui était très impressionnant, c’est qu’elles se sont dit qu’elles devaient aussi parler pour les autres, pour toutes celles qui sont dans leurs cas », souligne-t-elle.
**Des dysfonctionnements judiciaires et un déni sociétal**
Ce documentaire décrit « l’inhumanité et le broyage psychique » auquel ces mères font face, l’inversion des culpabilités auxquelles elles sont confrontées, ainsi que « le système judiciaire qui s’enclenche contre elles de façon très violente et très rapide », constate la réalisatrice Johanna Bedeau.
Certaines femmes se voient séparées de leurs enfants, placés pendant de longs mois dans des foyers durant la procédure. Après une attente éprouvante et des recours interminables, ces mères risquent de perdre leurs droits parentaux ou d’être contraintes de remettre leurs enfants à leur agresseur. Certaines prennent le risque de violer des interdits judiciaires ou encore de fuir.
« Au fil des tournages, je me répétais systématiquement : pourquoi en arrivent-elles là ? J’ai découvert que ce n’était pas à cause d’une chose en particulier mais d’un système qui était mis en place », note la réalisatrice. Dans son documentaire, Johanna Bedeau met en lumière la difficulté à caractériser ces agressions survenues dans la sphère familiale, les dysfonctionnements judiciaires, le déni sociétal autour de l’inceste, et l’incapacité à croire les enfants. « On préfère les voir comme des enfants menteurs ou manipulés par leur mère plutôt que d’imaginer cette vérité qui dérange. »
En effet, 160.000 enfants subissent chaque année des violences sexuelles, selon la Ciivise en 2023. Un enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle toutes les trois minutes.
**« Croire et protéger »**
« Sortir ces femmes du silence et de leur solitude » est l’objectif de ce film sur les « Mères en lutte ». Il vise également à alerter sur un « enjeu sociétal et politique considérable ». « Il ne faut pas décourager les enfants qui sont victimes de violences. Il ne faut pas décourager les mères non plus », ajoute la réalisatrice Johanna Bedeau. « Il faut rappeler qu’il y a des mères qui se battent parce qu’elles croient leurs enfants. Croire et protéger, c’est primordial pour vivre ensemble. »
Un mois auparavant, le 10 septembre, quelques dizaines de mères et militants des associations Protéger l’Enfant et Appel des 160.000 ont dénoncé lors d’un rassemblement à Paris ces « dysfonctionnements judiciaires » qui les empêchent de « protéger leurs enfants ». Elles demandent notamment la création d’une « ordonnance de sûreté de l’enfant », recommandée par la Ciivise dans son rapport de novembre 2023.
En août, le ministre de la Justice Gérald Darmanin avait annoncé son intention de créer une « ordonnance de sûreté » pour « protéger sans délai un enfant face à un parent agresseur », mais cette proposition n’a pas été mise en œuvre, a rapporté l’AFP.

