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Flou autour de la prise de Bakhmout par la Russie

Epicentre des combats en Ukraine depuis 224 jours, Bakhmout est finalement tombée. C’est du moins la revendication formulée par Evguéni Prigojine, le chef du groupe Wagner, dans une vidéo diffusée samedi. « Le 20 mai 2023, aujourd’hui, à midi, Bakhmout a été prise dans sa totalité », y annonce-t-il, entouré d’hommes en armes devant des bâtiments en ruines. Mais dans la bataille de communication à laquelle se livrent Kiev et Moscou en parallèle des combats sur le terrain, l’Ukraine a répliqué, et brouillé les cartes. 20 Minutes vous résume vingt-quatre heures d’informations contradictoires.

Etape 1 : Wagner vainqueur sans Moscou

Même la fin d’un long combat n’est pas toujours synonyme de trêve. Dans sa déclaration postée samedi sur Telegram, Evguéni Prigojine n’oublie de tacler l’état-major russe, avec qui il est en conflit ouvert. « Il n’y avait que Wagner ici », pointe-t-il en annonçant la « prise » totale de Bakhmout. « Nous ne nous sommes pas uniquement battus avec l’armée ukrainienne à Bakhmout, mais aussi avec la bureaucratie russe qui nous a mis des bâtons dans les roues », insiste-t-il, critiquant ouvertement le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou et le chef d’état-major Valéri Guérassimov.

Mais c’est pour Vladimir Poutine que le groupe Wagner a pris la ville. « D’ici au 25 mai, nous allons fouiller complètement la ville, créer des positions défensives et la transférerons aux militaires pour qu’ils s’en occupent. De notre côté, nous retournerons dans les bases », explique Evguéni Prigojine.

Etape 2 : L’Ukraine temporise, Poutine se frotte les mains

Dans la foulée de l’annonce du groupe Wagner, Kiev dément la perte de Bkahmout, affirmant toujours se battre malgré une situation « critique ». Selon les informations remontées du front ces dernières semaines, il ne restait plus qu’une poche de résistance ukrainienne dans l’ouest de la ville, les forces russes contrôlant 90 % de la cité détruite. Quelques heures plus tard, le conseiller de la présidence ukrainienne Mykhaïlo Podoliak maintient l’ambiguïté, affirmant à la télévision que « Bakhmout sera libérée, comme tous les autres territoires de l’Ukraine ».

Au cœur de la nuit, Moscou sort à son tour la machine de com’. « A la suite des actions offensives des unités d’assaut de Wagner, avec le soutien de l’artillerie et de l’aviation de l’unité « Sud », la libération de la ville d’Artemovsk est totale », lance le ministère russe de la Défense, utilisant le nom soviétique de Bakhmout. Dans un communiqué, Vladimir Poutine tente de rabibocher ses deux bras armés, félicitant « les unités d’assaut de Wagner de même que tous les militaires des unités des forces armées russes qui leur ont fourni le soutien nécessaire ».

Etape 3 : A l’autre bout du monde, Zelensky joue sur les mots

« Président Zelensky, Bakhmout est-elle encore aux mains de l’Ukraine ? Les Russes disent avoir pris Bakhmout. » Question à double tranchant à Hiroshima. Invité au G7, Volodymyr Zelensky s’en sort d’un « je ne pense pas ». Réponse à la première ou à la deuxième partie de la question ? « Vous devez comprendre qu’il n’y a rien » là-bas. « Aujourd’hui, Bakhmout n’est que dans nos cœurs », s’attriste-t-il.

Aussitôt, ses propos sont perçus comme un aveu de la perte de Bakhmout. Son porte-parole rectifie alors le tir. « Le président a démenti la capture de Bakhmout », assure Serguiï Nykyforov sur Facebook. Malgré la présence de troupes russes, la ville « n’est pas occupée », insiste Zelensky. Dans sa réponse en anglais, longue et confuse, le président ukrainien ajoute qu’il « n’y a rien dans cet endroit (…) juste des ruines et beaucoup de Russes morts ». Dimanche midi, le président ukrainien compare les destructions à Bakhmout à celles d’Hiroshima en 1945. « Je peux dire franchement que les photos d’Hiroshima détruite me rappellent Bakhmout. Il n’y a absolument plus rien de vivant, tous les bâtiments sont détruits (…) une destruction absolue et totale», déclare-t-il lors d’une conférence de presse en marge du sommet du G7. L’air de dire qu’il n’y avait rien à perdre à Bakhmout ?

Etape 4 : Et maintenant ?

Du « Bakhmout sera libérée » aux « ruines », l’Ukraine semble surtout vouloir indiquer que la perte de la ville n’est que temporaire, en attendant la contre-offensive. Dimanche matin, Kiev assurait d’ailleurs avoir « encerclé partiellement » Bakhmout, grâce à ses gains sur les flancs. « L’avancée de nos troupes dans la banlieue sur les flancs, qui se poursuit, rend très difficile la présence de l’ennemi à Bakhmout », explique sur Telegram la vice-ministre de la Défense Ganna Maliar.

Ces dernières semaines, Kiev avait déjà revendiqué des progrès dans la campagne environnante, aux dépens de l’armée régulière russe. Les positions se sont quasiment inversées par rapport aux dernières semaines, quand la résistance de troupes ukrainiennes encerclées donnait à la bataille une dimension « symbolique plus que stratégique », selon Vincent Desportes, alors interrogé par 20 Minutes. Loin d’une ouverture de la route vers Sloviansk et Kramatorsk, la prise de Bakhmout pourrait désormais prendre des airs de piège pour l’armée russe.