France

Fils Cara sert son « Amaretto » aux influences siciliennes, stéphanoises et parisiennes

Il a choisi Fils Cara comme nom de scène. « J’aimais bien l’idée d’être l’enfant médiatisé d’une personne qui ne l’est pas », explique le chanteur de 27 ans dont le premier album, Amaretto, sort ce vendredi. « Cara, c’est une référence à Carmella, le prénom de ma mère. Je voulais inscrire sa bonne étoile sur ma carrière et enraciner ma culture. J’ai l’impression de descendre d’une lignée de femmes puissantes, dont certaines étaient des sorcières, en Sicile », raconte-t-il, en toute simplicité.

Si l’on remonte la généalogie de celui qui, à l’état civil, se nomme Marc Gros Cannella, on se retrouve donc, du côté maternel, sur l’île italienne. « Je n’aime pas essentialiser, mais il y a une âme dans les peuples insulaires et méditerranéens. La musica leggera [les chansons populaires transalpines], est contenue dans mon ADN », poursuit-il.

L’Italie rythme son quotidien. Lui, qui écoute tous les matins la Rai radio 1, dit puiser ses références dans les films de Cinecittà, les compositions d’Ennio Morricone et les bidouillages sonores à la Giorgio Moroder. Il envisage même de postuler au prochain festival de Sanremo, événement majeur sacrant chaque année la meilleure chanson italophone. « J’ai écrit des morceaux pour le prochain album d’Hervé Vilard, révèle Fils Cara. Il a participé à Sanremo dans les années 1960, il m’en a parlé et m’a dit que ce serait formidable que je le fasse. Si j’en avais l’opportunité, ce serait formidable pour moi. »

« Je suis très attaché à Saint-Etienne »

Le jeune artiste cite également Luigi Tenco ou Adriano Celentano, entre autres auteurs-compositeurs – protestataires – infusant dans son esprit créatif. « Ce qui passait à la radio à la fin des années 1960 et au début des années 1970, quand mes grands-parents maternels se sont installés dans la vallée du Giers (Loire), c’est aussi la musique que j’essaie de convoquer. »

Le centre de la France est l’autre point d’ancrage de Fils Cara. C’est à Saint-Etienne qu’il est né, en mars 1995. « J’y suis très attaché. On écrit toujours d’où l’on vient, avance-t-il. Si je devais parler en termes plus symboliques, je dirais que le feu de l’industrie qui a été laissé en stagnation dans les cheminées ressort dans la créativité de la scène actuelle de cette ville. »

Aux côtés des frères Herrerias de Terrenoire, de Zed yun Pavarotti ou de La Belle vie, il est l’un des plus éclatants exemples de talents apparus dans le terreau stéphanois. « Notre point commun, c’est la lucidité sur le monde contemporain. Saint-Etienne est une ville qui a la chance d’être à l’écart, un peu en périphérie. Elle vit sur la mémoire d’un passé dont elle essaie de se relever », poursuit l’artiste.

« L’appel du vortex parisien »

Bien qu’issu d’un milieu populaire – son père était conducteur de bus et sa mère vendeuse en pâtisserie – il « ne revendique pas la position de transfuge de classe ». « Dans mes chansons, il y a un feu qui n’est pas bourgeois mais qui n’est pas non plus antibourgeois, précise-t-il. La culture à laquelle j’ai eu accès en poursuivant mes études supérieures m’a permis de calibrer ma musique. »

Vers 12 ans, Fils Cara s’est passionné pour Iggy Pop, Patty Smith, Nick Cave… « Des rockstars qui œuvrent pour la recherche de la beauté et la poésie », estime-t-il. Il a commencé par écrire des poèmes et, vers l’âge de 15 ans, s’est essayé à rapper. « Cela a fini par ressembler à quelque chose à la fin du lycée. Je faisais enfin des morceaux viables, qui plaisaient autour de moi. J’ai l’impression d’avoir pris cette carrière parce que ça correspondait à une nécessité intérieure, je ne pouvais pas faire autre chose », affirme-t-il.

Il y a quatre ans il a signé chez Microqlima – qui est toujours son label aujourd’hui – et a fait son premier concert à Paris. « En sortant du live, je me suis dit que je ne pouvais pas partir de cette ville. Je sentais son énergie, l’appel du vortex », confie-t-il. Il ajoute que la capitale l’inspire beaucoup. « J’ai l’impression qu’on est dans l’œil de quelque chose ici, au sens métaphorique, parce qu’on voit tout. On est à la confluence d’énormément d’énergies. Il y a beaucoup de poésie qui se dégage de ces environnements urbains et des personnes qu’on y rencontre. »

« Je fais du grunge solaire »

La dynamique parisienne lui réussit bien, il l’affirme et s’en réjouit. Il a sorti deux EP en 2020, une réédition en 2021, a enchaîné une centaine de dates de concerts et a peaufiné un premier album. Il a commencé à travailler sur Amaretto il y a trois ans, en été. Ses thèmes privilégiés : « les errances des gens de [son] âge, l’amour, [son] rapport à la culture méditerranéenne »… Il définit son style musical par le terme « grunge solaire ». Un oxymore de son invention qu’il définit comme « de la musique pop avec des textes lucides ».

Fils Cara a conçu les onze titres du disque avec Louis-Gabriel Gonzalez, qui a réalisé l’opus, son frère Francis et ses amis Lucas et Simon Gaspard. « En le faisant, on a écouté beaucoup de musique de nos années lycée : MGMT, Black Eyed Peas… De la pop très ouverte, qui prend des risques sur la recherche sonore avec des synthés, des modifications de voix, beaucoup de chœurs… » Amaretto a suivi cette voie.

« Le disque est peuplé de la voix de mes potes, de samples de moments de ma vie, de ma déclamation d’un poème d’Eugenio Montale – qui ouvre T’es belle. Cet album est un patchwork d’espaces. Certains couplets ont été enregistrés à un endroit et les refrains ailleurs, dans des temporalités différentes, ça a couru sur deux ans. » Un cocktail spatiotemporel à l’image des contraires traversant Fils Cara. Il y a l’héritage de ses aïeux qu’il vénère et l’avant-garde qu’il poursuit, les influences italiennes qui l’inspirent et la contemporanéité parisienne qui le secoue… Et cela sans se perdre en chemin, focalisé sur sa propre boussole.