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Festival d’Angoulême : « L’Attaque des Titans », manga phénomène, peut-il devenir une œuvre culte ?

Dix ans après le début de sa parution en France, L’attaque des Titans a les honneurs d’une exposition au festival de la BD d’Angoulême. Pour l’occasion, Hajime Isayama, auteur du manga phénomène, a fait le déplacement jusqu’aux rives de la Charente.

« C’est un événement !, s’enthousiasme Fausto Fasulo, commissaire de l’exposition. Les mangakas voyagent peu, surtout ceux de cette envergure-là. La venue de Hajime Isayama donne un écho considérable à l’exposition. »

Un manga millionnaire

Si vous ne comptez pas parmi les millions de lecteurs de L’Attaque des Titans, vous ignorez sans doute que Hajime Isayama est une immense star. Le jeune auteur a réussi un coup de maître avec sa première série. L’attaque des Titans qui met en scène une humanité confinée, aux prises avec des géants cannibales par-delà les murs de la cité, dans une Europe médiévale de dark fantasy. Et le manga est un phénomène. Si le terme est parfois galvaudé, il s’applique ici à merveille. Les 34 tomes de la série, achevée, se sont écoulées à plus de 110 millions d’exemplaires. L’adaptation en animé est elle-aussi couronnée de succès.

Pour autant, l’influence de Hajime Isayama, majeure dans le monde du manga où les hommages et références sont légion, est encore timide dans le champ de la pop culture. Il y a bien un mème qui circule les soirs de matchs de foot pour moquer les équipes passives. Un clin d’œil d’Emmanuel Macron sur Instagram pour vanter le Pass Culture. Ou encore quelques citations dans des morceaux de rap. Mais à part ça…

Une œuvre hors des codes

Pourtant, L’Attaque des Titans est unanimement considéré comme une œuvre majeure, par celles et ceux qui l’ont lu… « C’est un manga phénomène parce qu’il a connu un succès à la fois commercial et critique, explique Mehdi Benrabah, directeur éditorial chez Pika Editions. Cette unanimité, c’est rare. Pour beaucoup, c’est le manga de la décennie. »

« La raison principale de ce succès est que l’auteur bouscule les codes du manga où, souvent, la créativité est codifiée, avec des archétypes de héros et d’antagonistes. Là, on ne sait jamais à quoi s’attendre. Et ce récit est servi par un dessin qui ne ressemble à rien de connu. »

Image de L'attaque des Titans
Image de L’attaque des Titans – Hajime ISAYAMA / Kodansha Ltd

Fausto Fasulo estime lui aussi que L’Attaque des Titans a tout pour séduire un large public exigeant : « Il s’agit d’une série extrêmement populaire et assez fédératrice en termes de publics de tous âges et tous genres. Il y a des jeunes ados, des adultes, des lecteurs, des lectrices… Elle est à la fois accessible et profonde si on creuse un peu sa surface. »

Surtout L’Attaque des Titans provoque des réactions extrêmes. « On se sent galvanisé par l’épouvante horrifique des Titans, les destructions massives… Mais il y a aussi des thématiques adultes, des réflexions, du mystère, analyse Fausto Fasulo. C’est une série qui a quelque chose d’anormal, de déréglé, d’inconfortable, même pour les lecteurs de mangas aguerris. Et le dessin, un peu rêche, participe au malaise du récit. Ces géants humanoïdes cannibales sont dessinés de manière curieuse. »

Merci la génération Z

Alors comment expliquer que L’attaque des Titans n’ait pas encore, comme Game of Thrones, Naruto ou GTA, franchi le mur du boomer pour embraser la pop culture ? Depuis peu, la licence Attaque des Titans pénètre certains marchés, notamment le prêt-à-porter. Celio, marque de boomer s’il en est, a fait une collection L’Attaque des Titans. Et en ce début d’année 2023, la marque Don’t Call Me Jennyfer lance sa deuxième collection dédiée au manga choc.

La marque Don't Call Me Jennyfer a créé une collection inspirée de L'attaque des Titans
La marque Don’t Call Me Jennyfer a créé une collection inspirée de L’attaque des Titans – DCMJ

« Nos clients nous l’ont demandé, explique tout simplement Chloé Ortiz, directrice de la marque. Nous sommes à l’écoute de nos clients sur les réseaux sociaux et c’était une demande récurrente. Nous faisons souvent des collections manga et liée à la pop culture de la génération Z. » Et la directrice n’a pas eu peur de l’esthétique plutôt sombre de L’Attaque des Titans : « On a la chance d’avoir des stylistes fans de ce manga donc c’était un bonheur pour eux. Et même s’il y a des chartes à respecter, notamment l’échelle des Titans par rapport aux autres personnages, on a pu travailler les couleurs pour contrebalancer l’imagerie du manga. On a par exemple un très beau vert, du beige… pour sortir du titan rouge sur fond noir. » Le succès de cette collection est telle que Don’t Call Me Jennyfer aura un stand dans un « grand événement manga parisien » dans les prochains mois.

La postérité pour le culte

Outre le manga et l’animé, l’oeuvre de Hajime Isayama fait ainsi vendre toute une galaxie d’objets. Cela suffira-t-il à faire de L’Attaque des Titans un incontournable de la pop culture dans la décennie à venir ? En tout cas, par sa richesse interprétative, l’œuvre le mérite. La venue de Hajime Isayama en France suscite ainsi l’espoir, chez les personnes qui ont achevé la lecture du manga, que l’auteur donne des clés.

« Je n’y crois pas trop, explique Fausto Fasulo. Il ne souhaite pas se prononcer sur l’interprétation à donner à son œuvre. Il ne veut pas désamorcer ce qu’il a suscité chez des millions de lecteurs, fermer son travail en donnant une seule clé d’analyse. » Chez Pika, Mehdi Benrabah estime que le mystère entourant L’Attaque des Titans est sa meilleure chance de devenir absolument culte, au-delà des fans du titre : « Une humanité confinée face à une menace dont elle ne sait pas grand-chose… Des secrets et non-dits au sommet de l’état… Un scénario maîtrisé avec des indices de la fin disséminés tout au long des tomes… Cette œuvre, on a envie de la relire. Il y a beaucoup de messages sous-jacents, des références. Si la sortie des tomes a suscité des débats passionnés et des analyses contradictoires, ce n’est pas par hasard. Maintenant que le manga est achevé, et l’animé bientôt également, il va y avoir une postérité passionnante. »