France

Féminicide à Mérignac : « Paranoïaque », « rigide », « incapable de se remettre en cause », l’avis des psys sur l’accusé

A la cour d’assises de Bordeaux,

Dès l’ouverture de son procès lundi, l’accusé jugé aux assises pour avoir brûlé vive Chahinez Daoud à Mérignac, près de Bordeaux, le 4 mai 2021, s’est présenté en victime d’un complot. Il a multiplié les diatribes contre des « associations de malfaiteurs », les copines que Chahinez auraient liguées contre lui. Est revenu à la charge contre le prétendu « amant » de sa femme, dont l’instruction a montré qu’il n’a jamais existé ailleurs que dans son imagination.

Autant d’élucubrations qui ont compliqué les échanges sur les faits dans un dossier où les experts en psychologie et psychiatrie ont conclu à une altération du discernement mais pas à son abolition, qui conduirait à une irresponsabilité pénale. Ce jeudi, ces experts étaient entendus devant la cour pour tenter de mieux cerner la personnalité complexe de Mounir B., 48 ans.

« Il faut que l’autre soit ce que lui veut »

L’accusé rencontre Patrice Le Normand, psychologue clinicien expert auprès des tribunaux, en détention trois mois après les faits. Volubile, il dévoile vite sa façon de penser. Mounir B. raconte sa rencontre avec Chahinez, qui selon ses mots le connaissait avant qu’il ne la connaisse, sous-entendant qu’elle s’était renseignée sur lui. Elle travaille avec la belle-sœur de l’accusé dans une crèche, et c’est par ce biais qu’ils sont présentés l’un à l’autre. « Il se dit déjà qu’elle a un plan, qu’elle a le diable en elle », rapporte de son côté le Dr Paul Bonnan, psychiatre expert qui le rencontre en juillet 2021, là encore en détention. L’homme ne cesse d’être soupçonneux et quand elle tombe enceinte, il s’interroge sur la date de conception.

Toujours selon son récit, elle l’aurait approché par calcul, par intérêt. Et dès le début de leur mariage, il commence à avoir des doutes sur elle et ses amants, dont il croit dur comme fer à l’existence, en France et en Algérie. « Il prend le postulat d’être trompé et interprète tous les phénomènes pour confirmer ce postulat », analyse l’expert. Dans son esprit, c’est grâce à lui qu’elle peut s’installer en France et que ses enfants la rejoignent. Mais par la suite, elle lui aurait tout pris, tout volé.

Mounir B. répète à la barre, ce jeudi, qu’on tente de le faire taire et d’étouffer la vérité. « Il veut se présenter comme victime du système, des juges…, pointe Patrice Le Normand. Il rejoint en cela une logique paranoïaque qui revient à dire  » je suis tout bon, irréprochable et c’est l’environnement qui est contre moi  » ». Le psychiatre décrit la paranoïa comme « le summum de la pathologie narcissique » et « une forme d’emprise à l’extrême. » Dit autrement pour les jurés, l’accusé « ne retient que les informations qui alimentent son système paranoïaque », « il faut que l’autre soit ce que lui veut. » Et quand il perd le contrôle, il peut devenir violent.

Une photo de sa femme en string inventée ?

Mounir B maintient qu’une photo de sa femme en string lui a été envoyée sur son téléphone par ce fameux amant, qui aurait « piraté » son portable pour l’humilier. La photo n’a pas été retrouvée, on ne sait pas s’il s’agissait de Chahinez, ou même si la photo a réellement existé. « Il use de manipulation pour mieux construire la réalité selon sa perception », souligne Patrice Le Normand.

L’accusé lui raconte que dès qu’il partait travailler, l’amant arrivait ; il jure avoir observé des suçons sur le cou de sa femme. Le jour du drame, Mounir B. passe toute une journée en planque pour coincer cet amant mais ne le voit jamais. « Il n’envisage pas que l’amant n’existe pas », pointe l’expert. Il a une personnalité « rigide », qui ne lui permet pas d’envisager des explications alternatives à ce qu’il a décidé de prime abord.

Difficile de dater un point de bascule. Le Dr Bonnan fait l’hypothèse que quand il est incarcéré pour des violences sur Chahinez – à tort selon lui – en juin 2020, son comportement change. Il ne peut plus se voir comme son protecteur, or c’est l’image qu’il s’est forgée dans cette relation. « Le problème du paranoïaque, c’est qu’il tient un discours cohérent, analyse le Dr Bonnan. C’est le postulat de départ qui est délirant. »

C’est la raison pour laquelle il est capable de faire des préparatifs : il achète un nouveau véhicule – non reconnaissable par la victime –, l’aménage pour l’observer sans être vu et s’équipe (arme, bidon d’essence…) avant de passer à l’acte. « Il n’y a pas d’abolition de son discernement au sens où il était conscient de ce qu’il réalisait, mais sa conscience était induite par des interprétations délirantes », clarifie l’expert.

Sa vision surréaliste de la scène du drame

La narration fait par Mounir B. du 4 mai 2021, quand il tire dans les cuisses de Chahinez au fusil de chasse avant de l’immoler, est glaçante. Il explique que c’est le fait qu’elle soit souriante en sortant de chez elle, vers 18h20, pour aller chercher ses enfants, qui le pousse à sortir de son véhicule, l’arme à la main. « Dans son système de pensée, elle rigole donc elle s’émancipe. Il ne le supporte pas », décrypte Patrice Le Normand.

Alors qu’il vient de lui tirer dans les jambes, l’accusé lui intime de demander pardon, dans une inversion extrême des rôles. Quand, à la barre, la présidente du tribunal l’interroge sur l’immolation, lui répond : « Je voulais qu’elle souffre, elle m’a tant fait souffrir », tout en continuant à nier l’intention de la tuer. « Le voisin est sorti, ça m’a déstabilisé, ajoute-t-il. C’était pas moi, c’était mon corps ».

Les deux experts soulignent la difficulté de prendre en charge ce profil, qui ne se reconnaît pas malade et refuse de prendre certains médicaments. Patrice Le Normand pointe qu’« il est illusoire de penser qu’une prise charge psychiatrique puisse amener un amendement de la pathologie, mais on peut réduire l’impulsivité ».

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Mounir B. encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Le procès se tient jusqu’à vendredi.